Organes de traités | Comment un Comité de l’ONU a contribué à l’abandon d’un projet minier controversé en Guyane française

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Par Alexandre Sommer-Schaechtele, qui appartient à la Nation Kali’na Teleuyu, l’une des six Nations autochtones de Guyane française. Il représente l’Organisation des Nations Autochtones de Guyane française (ONAG) à l’origine d'une requête en alerte rapide devant le Comité des Nations Unies pour l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (CERD) concernant le projet minier controversé « Montagne d’or ».

L’examen du système des Organes de traité de l’ONU donne l’opportunité de célébrer les victoires auxquelles ceux-ci ont contribué. Mais il donne aussi l’occasion de renforcer la protection et les mesures de prévention que le système est censé apporté.

Cet article a été initialement publié sur OpenGlobalRights le 7 novembre 2019.

Le 14 décembre 2018, le Comité des Nations Unies pour l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (CERD) adresse une réprimande envers la France concernant la violation des droits des peuples autochtones de Guyane française, en lien avec un projet minier controversé – la Montagne d’Or. C’est la première fois que la France est saisie d’une procédure en alerte rapide par un organe de traité sur la question autochtone. Bien que Paris se terre dans une position de principe niant la présence de peuples autochtones sur son sol du fait de la tradition jacobine, force est de reconnaitre que le projet minier ne reçoit pas l’assentiment des peuples amérindiens concernés par son implantation. Quelques mois après la décision du Comité, l’exécutif français annonce l’abandon du projet minier, représentant une victoire pour tous les opposants au premier rang desquels figurent les amérindiens.

La procédure d’urgence engagée par le CERD faite suite à une requête adressée quelques mois plus tôt par l’Organisation des Nations Autochtones de Guyane française (ONAG) avec le soutien d’une ONG internationale basée à Genève.

Rappelons qu’en 2007 la France a adopté la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Un texte fondateur, qui reconnait le droit des peuples autochtones au consentement libre, préalable et éclairé, mais non contraignant pour les États parties. Dès lors, les organes de traité, qui sont basés sur des traités contraignants, présentent un avantage indéniable pour les peuples autochtones du territoire français.

Il y avait une claire absence de consentement de la part des communautés amérindiennes, donc une violation flagrante des obligations de la France envers un principe de base du droit international.

La France, en tant qu’État partie à la Convention pour l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale depuis 1971, s’est engagée à mettre en œuvre sur son territoire tous les moyens pour lutter contre la discrimination raciale. Or, la violation au consentement libre, préalable et éclairé des droits des peuples autochtones enfreint ce principe.

La procédure envisagée par le traité met ainsi à la disposition des victimes un panel de procédures visant à saisir l’État partie sur le respect de ses engagements au vu du préjudice subi. Dans le cas des peuples autochtones de Guyane française, la démarche a permis une saisine rapide de la France, moins de deux mois après la présentation de la requête au Comité.

La réponse officielle de la France à la requête du Comité n’est pas rendue publique, ni même partagée avec les requérants.

Il s’agissait de répondre à l’urgence de mettre fin au plus grand projet d’extraction aurifère de France porté par le consortium russo-canadien Colombus Gold/Norgold. Le projet minier, appelé Montagne d’Or, est situé à proximité de réserves naturelles et de vestiges autochtones pré-colombiens, ce qui a suscité une vive opposition des peuples autochtones de Guyane depuis 2016.

La publication dans les médias nationaux de la lettre adressée par le CERD à la France, et la polémique qui s’en est suivie, a eu l’effet escompté puisque le Gouvernement français a fini par céder à la pression internationale et des militants en rejetant le projet minier après quelques semaines, en mai 2019.

Cependant, la procédure engagée par le CERD a révélé de nombreuses failles. Les lourdeurs administratives et la diplomatie excessive que s’imposent les organes de traité dans leurs rapports avec les États ne jouent pas en faveur des victimes. Par exemple, la réponse officielle de la France à la requête du Comité n’est pas rendue publique, ni même partagée avec les requérants ! C’est pourtant un principe de base de la justice que de partager les réponses de la partie adverse. Ce manque de transparence est d’autant plus surprenant qu’il ne figure pas dans la Convention ou la procédure de travail du Comité.

L’absence de divulgation des réponses des États parties est préjudiciable non seulement pour les requérants et les victimes qui ne sont pas en capacité d’apprécier les éléments de réponse. C’est aussi préjudiciable pour la procédure dans son ensemble.

Par ailleurs, il est également regrettable que le Comité soit resté relativement timoré dans son injonction envers la France en lui demandant, non pas l’abandon pur et simple du projet, mais de revoir la consultation envers les autochtones. En effet dans le cadre du processus de consultation qui avait été engagé par la France, la quasi-totalité des amérindiens guyanais avaient fait part de leur opposition à ce projet. Il y avait une claire absence de consentement de la part des communautés amérindiennes, donc une violation flagrante des obligations de la France envers un principe de base du droit international.

L’examen du système des Organes de traité de l’ONU prévu en 2020 donne l’opportunité de célébrer les victoires auxquelles ceux-ci ont contribué, comme l’illustre le projet abandonné de la Montagne d’or. Mais il donne aussi l’occasion de renforcer la protection et les mesures de prévention que le système est censé apporté. Comme l’illustre la Montagne d’or, cela passe aussi vers plus de transparence et une plus grande ouverture et disponibilité envers les victimes. C’est pour ces dernières que le système a été créé, et doit fonctionner.

Les opinions exprimées dans cet éditorial ne reflètent pas nécessairement celles de ISHR.​

Photo: Alexander Gerst/Flickr (CC BY-SA 2.0)​

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