Il y a deux ans, le 15 mai 2018, Loujain al-Hathloul et plusieurs autres activistes féministes saoudien.nes étaient arrêté.es pour avoir, entre autres, réclamé le droit de conduire pour toutes les femmes du Royaume. Début d’une vague d’arrestations qui ne fera que s’amplifier. Il y a un an, nous rappelions ce triste anniversaire à la mémoire collective et appelions une fois de plus à leur libération. Un an plus tard, Loujain dort encore en prison ; personne ne fut inquiété à l’issue de la prétendue enquête relatives aux tortures qui lui avaient été infligées en 2018 ; son audience prévue le 11 mars et opportunément annulée à la dernière minute (officiellement en raison de la pandémie) demeure, une fois de plus, repoussée aux calendes grecques. Entre temps, d’autres activistes telles Nouf Abdulaziz, Samar Badawi (soeur de Raif Badawi) ou encore Nassima Al-Saddah et Miyaa Al-Zahrani sont venues s’ajouter à la liste des militant.es emprisonné.es.
En septembre dernier, Lina al-Hathloul, sœur de Loujain, se rendait à Genève pour implorer le Conseil des droits de l’Homme de passer à la vitesse supérieure pour que sa sœur et ses camarades de lutte soient enfin libéré.es. Une déclaration conjointe d’Etats était alors en préparation au Conseil à cet effet. Déclaration que la Suisse, à l’instar de la France, mais à l’inverse de plusieurs autres démocraties européennes, et, pour la deuxième fois en six mois, s’abstint curieusement de signer. Pourtant, un premier appel lancé en mars 2019 par 36 Etats, et déjà snobbé par la Suisse, avait notamment conduit trois semaines plus tard, à la libération provisoire d’Aziza Al-Yousef et Eman Al-Nafjan, arrêtées lors de la vague de 2018. Dommage que cette issue heureuse n’ait pas encouragé Berne à joindre sa voix à celle de ses pairs lors du deuxième appel.
Le 28 février dernier, c’était au tour du Comité de l’ONU pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes de marquer, par un communiqué de presse, un autre anniversaire : celui de la venue de Loujain à Genève, le 27 février 2018, pour un briefing des membres du Comité sur l’état des droits humains en Arabie saoudite. Voyage qui finira par figurer dans les charges pesant contre Loujain lors de son arrestation quelques semaines plus tard. Victime de représailles pour avoir cherché secours à Genève, Loujain pourra t-elle compter sur un soutien plus appuyé de Berne ?
Pays hôte du Conseil des droits de l’Homme, la Suisse se targue d’être dotée de Lignes directrices sur la protection des défenseur.es des droits humains. Ces dernières invitent notamment les missions permanentes de la Suisse de l’étranger à « appu[yer] activement les femmes défenseurs des droits de l’homme et toutes les autres personnes qui s’engagent en faveur des droits des femmes »[1]. Une recommandation que la mission de la Suisse auprès de l’ONU à Genève semble peiner à appliquer sur le dossier saoudien. A moins que cette recommandation ne concerne que les missions de l’étranger, celle située en terre helvétique bénéficiant d’une sorte d’exemption ?
Au-delà donc d’une question, non moins importante, de solidarité internationale, soutenir les activistes féministes saoudien.nes activement, c’est-à-dire dans le secret des chancelleries mais également en public, est aussi et surtout une question de cohérence interne pour la Suisse. Un aspect que, espérons-le, elle gardera en tête au moment des prochaines élections au Conseil des droits de l’Homme auxquelles Riyad s’est porter candidate et auxquelles Berne sera appelée à voter à l’automne prochain. Il serait regrettable que le pays hôte du Conseil n’ait rien d’autre à offrir au monde que l’écho de son silence assourdissant dans une arène où siègeraient potentiellement les bourreaux de Loujain, Nouf, Samar et les autres.
Notre souhait en soufflant les bougies de cet anniversaire de trop : que le message de Lina et de tous/toutes les proches des activistes enfermé.es résonne enfin aux oreilles des grand.es de ce monde et conduise à leur libération pure et simple. Le monde ne s’en portera que mieux, alors pourquoi se priver de l’appeler de nos vœux ?
[1] Lignes directrices de la Suisse concernant la protection des défenseurs des droits de l’homme, p. 10.