Par Me Armel Niyongere, avocat aux barreaux du Rwanda et de Bruxelles, inscrit sur la liste de conseils de la Cour Pénale Internationale (CPI), président de l’association Action des Chrétiens contre la torture (Acat-Burundi) et secrétaire général de SOS-Torture / Burundi.
Le Burundi traverse une crise politique majeure depuis le mois d’avril 2015. Elle se caractérise par des violations continues et massives des droits humains. Cette crise tire son origine de la candidature controversée de Pierre Nkurunziza à un troisième mandat, jugée inconstitutionnel. Une répression sanglante a été organisée par le pouvoir burundais contre les manifestations pacifiques organisées, taxées par le pouvoir de « mouvement insurrectionnel ». Pour se mettre à l’abri, plusieurs membres de la société civile et des médias, avec en tête les responsables de différentes organisations de la société civile, ont été forcés de s’exiler. Entre temps, des mesures arbitraires ont été prises à leur égard, notamment,la saisie de leurs comptes bancaires personnels, la suspension et la radiation des associations et médias indépendants.
L’alternance au sommet de l’État, en juin 2020, avec l’avènement du Général Evariste Ndayishimiye, nouveau président du Burundi, n’y a rien changé. Bien au contraire. La répression des opposant.es politiques supposé.es et des défenseur.es des droits humains se poursuit de façon implacable, galvanisée par des discours de haine et d’incitation à la haine inter-ethnique qui contribuent à entretenir un climat de peur.
Répression continue des défenseur.es des droits humains par le biais d’une justice totalement instrumentalisée
Pour mâter les défenseur.es des droits humains impliqué.es dans les manifestations, le pouvoir est passé par la justice qui est devenue un des instruments privilégiés de la répression. Ainsi, en novembre 2015, le procureur général a procédé à la fermeture des comptes bancaires d’une dizaine d’organisations de la société civile ainsi que ceux de leurs représentant.es[1], dont le mien et ceux de l’association Action des Chrétiens contre la torture (Acat-Burundi), que je dirigeais. Depuis lors, ces comptes sont gérés par ces nouveaux/elles mandataires désigné.es de manière totalement opaque.
Plus tard, le 19 octobre 2016, une autre étape a été franchie. Le Ministre de l’intérieur a procédé à la radiation de certaines des principales organisations œuvrant pour la défense des droits humains, et à la suspension des activités de certaines autres, dont l’ACAT-Burundi[2].
Clairement, les avocat.es engagé.es dans la défense des victimes des crimes commis depuis 2015 des différentes atrocités constituent une des principales cibles du pouvoir burundais. La raison de cet acharnement étant qu’ils/elles sont devenu.es des témoins et des porte-voix, déterminé.es et gênant.es, des violations des droits humains au Burundi, en produisant des rapports alternatifs, et en représentant les victimes auprès de différents mécanismes internationaux juridictionnels ou quasi-juridictionnels, notamment le Comité contre la Torture des Nations Unies (CAT), la Commission africaine des droits de l’Homme et des Peuples, la Cour de Justice de la Communauté d’Afrique de l’Est ou la Cour pénale internationale (CPI).
Dans ce cadre, en dépit de l’opposition du Barreau, la cour d’appel de Bujumbura a décidé, le 16 janvier 2017, de radier de l’ordre des avocat.es quatre défenseurs et responsables d’organisations, notamment Vital Nshimirimana, Dieudonné Bashirahishize, moi-même[3] et Lambert Nigarura. Ces sanctions ont été prises suite à notre participation à la session d’examen du Burundi par le Comité contre la Torture (CAT) des Nations unies, en juillet 2016 au cours de laquelle nous avions dénoncé, preuves à l’appui, la pratique généralisée de la torture au Burundi.
Ces mesures répressives se succèdent sans répit. Le 2 février 2021, la Cour suprême du Burundi a rendu public, avec huit mois de retard, un arrêt qui aurait été prononcé le 23 juin 2020. Il concerne plusieurs personnes, considérées comme opposant.es dont une dizaine de défenseur.es de droits de la personne humaine, dont moi-même. Elles ont écopé de condamnations à des peines de prison à perpétuité et au paiement de dédommagements exorbitants. Le but étant clairement de justifier la réalisation des patrimoines financiers des familles de ces personnes[4] .
Faire taire toute critique, étouffer les voix des victimes
Toutes ces décisions ont été rendues par les diverses juridictions alors que le droit de défense des accusé.es leur a été refusé. Au vu des peines et de l’arbitraire qui les caractérise, plusieurs observateurs/rices s’accordent sur le fait qu’il s’agit de mesures de représailles à l’encontre de ces avocats en raison de leurs activités de défense des victimes des violations graves imputables aux agent.es et officiel.es du pouvoir burundais qui bénéficient d’une totale impunité. Les lourdes peines prononcées visent clairement à faire taire toute voix discordante et empêcher toute démarche visant à établir les faits et les responsabilités des crimes commis et rétablir les victimes dans leurs droits. La nomination de plusieurs personnalités, soupçonnées d’être impliquées dans des crimes graves, à de hauts postes de responsabilité, constitue un signal supplémentaire, en les mettant à l’abri de toute poursuite. Et lorsque les bourreaux paradent, les victimes n’ont d’autre choix que de vivre dans la peur, l’échine courbée, forcés de passer continuellement sous les fourches caudines.
La communauté internationale doit agir
Depuis le début de la crise burundaise en 2015, les seules mesures concrètes adoptées par la communauté internationale ont été les sanctions économiques prises par l’Union Européenne (UE) dans le cadre de l’article 96 de l’Accord de Cotonou. Les effets de ces sanctions ont été mitigés et certaines voix s’élèvent pour réclamer leur levée. Cependant, la situation des droits humains au Burundi demeure extrêmement préoccupante, avec en toile de fond, une impunité totale pour les auteur.es de violations. Des pratiques d’exclusion systématiques sont instituées en violation de l’Accord d’Arusha pour la paix et la réconciliation signé en 2000 avec l’appui de la communauté internationale et des textes internationaux de protection des droits humains ratifiés par l’Etat du Burundi.
Il est important que l’UE maintienne ces sanctions qui devraient par ailleurs faire l’objet d’une évaluation objective et rigoureuse. De plus, la lutte contre l’impunité au Burundi se doit d’être une priorité pour l’ensemble de la communauté internationale, mais celle-ci ne peut être l’œuvre de l’État burundais, impliqué et qui a transformé la justice en instrument de répression. C’est la raison pour laquelle un appui multiforme à la Commission d’Enquête de l’ONU et à la Cour Pénale Internationale (CPI) reste nécessaire pour qu’elles poursuivent leurs enquêtes respectives en cours au Burundi. La CPI devrait en outre lancer des mandats d’arrêt contre les commanditaires et les auteur.es présumés des crimes graves et prendre des sanctions ciblées contre des personnalités burundaises citées dans la commission de nombreuses violations des droits humains.
Enfin, les Nations Unies doivent, de leur côté, suspendre l’envoi des troupes burundaises dans des missions de maintien de la paix. Ces missions renforcent le pouvoir économique des dirigeant.es burundais.es et servent à encourager les auteur.es des crimes qui sont envoyé.es en mission en guise de récompense.
La communauté internationale doit continuer à suivre de très près l’évolution de la situation au Burundi et utiliser, le cas échéant, les mécanismes de prévention et d’intervention pertinents.
Photo: Niyongere Associates