Burundi | Renouvellement de la Commission d’enquête : une victoire sur le fil du rasoir

Le Conseil des droits de l’Homme de l’ONU a certes (et heureusement) prolongé le mandat de la Commission d’enquête sur le Burundi, mais a malheureusement raté l’occasion de prendre position sur la question cruciale du statut du Burundi, actuellement membre dudit Conseil. Clément Voulé et Fanny Toutou-Mpondo du Service International pour les Droits de l’Homme donnent leur analyse des atermoiements du Conseil sur le sujet à ce jour.  

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Le Conseil des droits de l’Homme vient de prolonger le mandat de la Commission d’enquête qu’il a mis en place sur le Burundi. Cependant, il est à regretter qu’il n’ait pas saisi cette occasion pour également prendre position de façon ferme sur la question du statut du Burundi, actuellement membre du Conseil, alors même que de fortes suspicions de crimes contre l’humanité perpétrés par des autorités gouvernementales et soutiens du Gouvernement se font jour, et que le pays se refuse obstinément à coopérer avec l’ONU pour enquêter et poursuivre les auteur.es de ces atrocités.

A l’assaut des évidences

« Est-ce que la commission indépendante d’expert.es des droits humains chargée par le Conseil des droits de l’Homme d’enquêter sur de possibles violations massives des droits humains au Burundi – et qui, en dépit du refus du pays de les laisser entrer, a malgré tout réussi à réunir plus de 500 témoignages et à publier un rapport à ce propos – devrait continuer son travail ? Ou devrait-elle s’arrêter là, alors qu’elle vient de démontrer qu’il existe des motifs raisonnables de penser que des crimes contre l’humanité sont actuellement commis dans le pays ? »  Ainsi aurait pu être résumée la résolution proposée au Conseil des droits de l’Homme (le Conseil) par le Groupe de l’Union Européenne (UE), car tel était, en réalité, son véritable enjeu.      

A la première question, seulement 22 des 47 membres du Conseil ont franchement et clairement répondu par l’affirmative lors du vote qui s’est tenu vendredi passé. Fort heureusement, malgré les « non » et les abstentions, cela a suffi à faire adopter la résolution et à renouveler la Commission d’enquête (la Commission). Une victoire sur le fil, mais une victoire tout de même car, alors qu’exiger qu’une enquête soit menée et que les auteur.es de violations rendent des comptes semble être la moindre des choses que le Conseil puisse faire pour les victimes du Burundi et leurs proches, ce minimum vital n’a eu de cesse d’être combattu tout au long de la dernière session par le Burundi et ses alliés au Conseil.

Le sombre ballet des résolutions

Le bras de fer a naturellement commencé avec les traditionnelles demandes d’amendements à apposer au projet de résolution, dont la version originale réclamait, entre autres, la prise en charge du dossier par l’Assemblée Générale de l’ONU, et l’ouverture d’une enquête par la Cour Pénale Internationale. Ce ballet des amendements fait partie du jeu diplomatique. Il est d’autant plus prévisible quand il est question de résolutions ciblant des pays en particulier. Car oui, on l’a compris, personne n’aime se voir, ni voir ses amis, pointés du doigt.

Par contre, ce qui était totalement imprévisible, parce qu’inédit, fut le retrait pur et simple du Burundi de tout processus de négociation sur la résolution, et ce en dépit des compromis concédés par l’UE pour diluer quelque peu le contenu du texte. Et pour couronner le tout, le Burundi n’a rien trouvé de mieux que de se fendre d’une contre-résolution, présentée à peine deux jours avant la tenue des votes, rendant ainsi impossible toute négociation sérieuse et inclusive.

Cette nouvelle résolution, officiellement présentée par la Tunisie au nom du Groupe Africain, et ne faisant naturellement aucune référence à une quelconque enquête sur les allégations de « crimes contre l’humanité », a finalement été adoptée par le Conseil – où le Burundi semble décidément avoir trouvé de fidèles amis. Petit avantage de cette résolution : l’invitation faite au Haut-Commissariat aux droits de l’Homme de mandater « une équipe de trois experts » dans le pays, ce qui, avec les trois expert.es de l’actuelle Commission, amène à six le nombre d’expert.es suivant la situation de près. Gros inconvénient de la situation : la moitié de ces six expert.es, en plus de ne pas être explicitement « indépendant.es », sont expressément sommé.es de « transmettre aux autorités judiciaires du Burundi » toute information qu’ils/elles récolteront.  

Compromis sur les droits humains : un pari risqué et ingrat

En somme, dans un contexte d’« impunité générale, aggravée par un manque d’indépendance du système judiciaire »[1], où « les corps de défense et de sécurité [sont] les principaux auteurs de violations des droits de l’homme »[2], toute information concernant des violations qui seront très probablement commises par ces derniers, devra en premier lieu être envoyée (pour certainement être filtrée) aux autorités judiciaires du Burundi. Une incongruité telle que la délégation du Burundi (qui a bien sûr vivement applaudi la résolution du Groupe Africain) s’est fendue d’un hashtag pour l’occasion : « #Twenga », ce qui signifie « riez ! ». Un hasthag retweeté à l’envi depuis lors par les défenseur.es du régime de Bujumbura, qui doivent contempler avec délices le Conseil des droits de l’Homme s’embourber dans ses propres contradictions.  

Il y a au moins une leçon à retenir de tout cela : revoir ses exigences à la baisse quand on a des demandes légitimes à exprimer face à des violations graves et massives des droits humains, ne garantit en rien de garder les pays auteurs de violations impliqués dans les négociations. De même qu’adopter des résolutions complaisantes à leur égard ne les incite en rien à faire au moins amende honorable. Bien au contraire, c’est l’inverse qui se produit : ces Etats se sentent confortés dans leurs positions, et ce bien sûr au détriment de leurs victimes. En effet, bien que les références à la Cour Pénale Internationale aient été supprimées, et les soi-disant « progrès » effectués par le pays aient même été salués, le Burundi n’en a pas moins claqué la porte des négociations et obtenu ce qu’il voulait du Conseil. Ou du moins, une grande partie de ce qu’il voulait car, grâce aux efforts de l’UE au Conseil, la Commission d’enquête a tout de même été sauvegardée.

Etre membre du Conseil : ni un droit, ni un passe-droit

Outre les habituelles alliances politiques et stratégiques, il est clair que ce qui a permis au Burundi de s’essayer, avec succès, à de telles bravades, est son siège même au sein du Conseil. A défaut de lui attirer un soutien franc et massif, il lui a au moins permis de faire face à une opposition fantomatique dont les appels à rendre des comptes furent quasi inexistants. A titre de preuve, le fort taux d’abstention observé lors des deux votes. Etant donné la gravité de la situation, il est plus que regrettable que des pays n’étant pas nécessairement du côté du Burundi, n’aient néanmoins pas eu le courage de les défier ouvertement, mettant ainsi en péril le futur même de la Commission d’enquête.

Voter au sein du Conseil est à la fois une grande responsabilité et un formidable outil de pression pour les membres, le marchandage de voix étant malheureusement une pratique très courante parmi eux. De ce fait, le Conseil devrait sélectionner ses membres avec d’autant plus de soin, et tâcher autant que possible de ne pas ouvrir ses portes – et ainsi donner carte blanche – aux Etats ayant le parcours le plus sombre en termes de violations.  Plus encore, le Conseil devrait s’adonner à un suivi plus poussé de ses membres tout au long de leur mandat, afin d’assurer que tous « coopèrent pleinement avec [lui] », comme l’exige la résolution 60/251 de l’Assemblée Générale.  

Ceci n’a malheureusement pas été le cas pour la candidature au Conseil puis l’adhésion du Burundi, le mélodrame autour des résolutions n’étant en fait que le plus récent (mais certainement pas le dernier) épisode d’une trop longue série de camouflets infligés par le pays au système onusien. Le Burundi s’est en effet illustré entre autres en : déclarant persona non grata trois autres expert.es indépendant.es de l’ONU ; interrompant son examen par le Comité contre la torture, en ne se présentant tout simplement pas à la dernière session réservée aux réponses à apporter aux questions du Comité ; refusant toute collaboration avec les expert.es de la Commission d’enquête. Une telle attitude est clairement incompatible avec le statut de membre du Conseil des droits de l’Homme, mais n’a pas suscité pour l’instant la réaction légitimement attendue en pareille situation.

Suspension du Burundi, ou la fin d’un cercle vicieux

Sans réponse adéquate, le statut du Burundi au sein du Conseil – alors que la situation sur le terrain ne fait qu’empirer jour après jour, et que le refus des autorités de coopérer se fait de plus en plus patent – constituerait un sinistre précédent qui pourrait inspirer d’autres auteurs de violations siégeant actuellement au Conseil, ou aspirant à y siéger. S’il veut demeurer crédible en tant qu’organe suprême de l’ONU en matière de défense des droits humains aux yeux de la société civile, des défenseur.es des droits humains, des victimes de violations, mais également des auteur.es de violations, le Conseil a le devoir d’envoyer un message clair signifiant qu’une telle attitude est intolérable de la part de ses membres.

Suspendre le Burundi de son sein et ce sans délai, est de toute évidence la réponse logiquement attendue du Conseil, étant donné qu’assez de temps a été consacré en tentatives de négociations avec le pays. Autant de temps où les victimes ont attendu de voir si la communauté internationale saisissait la gravité de leur calvaire et prenait enfin leur défense, sans ambiguïté, et sans tenter de caresser les criminel.les et leurs complices dans le sens du poil.  Bien que la décision finale de suspendre un membre du Conseil appartienne à l’Assemblée Générale, le Conseil conserve néanmoins la possibilité de recommander cette suspension, comme il le fit pour la Libye en 2011[3]. Et en toute honnêteté, quelle est précisément la différence entre le cas libyen et celui du Burundi ?

Si le Conseil ne prend pas cette décision de son propre chef, il est du devoir de la communauté internationale dans son ensemble, société civile y compris, de s’assurer qu’il y pense au moins et qu’il se souvienne que lui aussi doit rendre des comptes. N’oublions pas que certes la Commission d’enquête a été renouvelée – et cela est à saluer – mais que cette victoire a été arrachée sur le fil. Et que c’est également sur le fil du rasoir que se trouve désormais la crédibilité du Conseil et de l’ONU dans son ensemble, s’ils ne passent pas à la vitesse supérieure sur le sujet.  

 

Ci-dessous, les résultats du vote sur la résolution du Groupe Africain :

Ci-dessous, les résultats du vote sur la résolution du groupe de l’Union Européenne :

 


 

[1] Rapport de la Commission d’enquête sur le Burundi présenté à l’Assemblée Générale le 11 août 2017, p.5

[2] Ibid., p. 6

 

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