En Afrique, les défenseures des droits humains jouent un rôle central dans le renforcement et la diffusion du Protocole de Maputo, mais la mise en œuvre de mesures de protection en leur faveur demeure problématique à bien des égards. La création d’un environnement de travail sûr et favorable est pourtant nécessaire afin que leur travail porte ses fruits. L’objectif de cette table ronde était de démontrer comment et pourquoi un réseau ou une coalition peut accroître les retombées du travail des femmes défenseures sur le continent et de présenter au public les bonnes pratiques et quelques exemples de projets conjoints.
Animée par Naomi Mwangi (Equality Now), la table ronde a réuni quatre défenseures africaines expérimentées :
Un besoin crucial de protection
Les participantes ont commencé par faire état des difficultés auxquelles sont confrontées les femmes défenseures des droits humains dans différentes sous-régions d’Afrique, notamment la violence sexiste, le harcèlement, la discrimination et la stigmatisation. Les défenseures sont souvent plus vulnérables en raison de ce qu’elles sont et de la façon dont elles sont perçues par la société. Il est encore plus compliqué de promouvoir les droits des femmes dans les régimes répressifs et toutes les participantes ont souligné la nécessité de documenter les violations et de faire connaître la réalité vécue par les défenseures afin de faire campagne pour leurs droits. Hilda Stuart Dadu, de la Coalition pour les droits des femmes en Tanzanie, a souligné l’importance d’adopter une stratégie de sécurité globale pour protéger le travail des défenseures :
- Sécurité physique : Les défenseures sont souvent victimes d’attaques ou d’agressions. Un environnement plus sûr doit être mis en place à la maison, au bureau et dans le cadre familial.
- Sécurité psychologique : Certaines histoires sont difficiles et il peut également être éprouvant d’apporter un soutien émotionnel à ses pairs en tant qu’activiste. Il est donc essentiel que les défenseures puissent veiller à leur bien-être, prendre soin d’elles-mêmes et prendre le temps de se reposer.
- Sécurité numérique : Les attaques en ligne fondées sur le genre sont en augmentation. Les défenseures des droits humains doivent connaître les outils qui leur permettront de se protéger.
Renforcer la portée des actions menées grâce aux réseaux
Mary Pais Da Silva (Estwasini) a souligné l’importance de placer les défenseures au cœur du processus de résolution des problèmes les concernant et d’impliquer tous les genres. Cela permettra d’élaborer des stratégies inclusives au sein des structures existantes tout en encourageant la collaboration et les partenariats entre toutes les parties prenantes. Maimouna Yade (Sénégal) a estimé que le système international des droits humains des Nations Unies devait renforcer la collaboration afin que toutes les défenseures des droits humains puissent être entendues.
Mary Pais Da Silva a par ailleurs souligné que les réseaux offraient non seulement des services de soutien essentiels, tels qu’une assistance médicale et physique, mais également un appui moral et de la solidarité. Cet appui moral est vital pour faire face à l’adversité. Les expériences collectives des défenseures permettent d’élaborer des stratégies et des mesures de protection efficaces, et de tracer la voie à suivre en matière de défense des droits humains. Elle a également indiqué que les défenseures des droits humains avaient des besoins spécifiques nécessitant des solutions adaptées, et que ces solutions devaient venir des femmes elles-mêmes, car elles étaient les premières concernées.
Hilda Stuart Dadu a évoqué l’augmentation de la violence à l’égard des défenseures des droits humains et le rétrécissement des espaces civiques en Afrique de l’Est. Elle a expliqué les travaux menés par la Coalition pour que les défenseures reçoivent la reconnaissance qu’elles méritent et que la Déclaration de l’ONU devienne un outil de protection.
L’intersectionnalité comme outil d’inclusion
Bien que l’intérêt de travailler à l’unisson ait été démontré à maintes reprises, les freins à la collaboration émanent parfois des mouvements eux-mêmes, d’où l’importance de promouvoir l’intersectionnalité autant que faire se peut. Renée Nwoes (Cameroun) a mis en évidence les difficultés liées au manque de collaboration entre les femmes des zones rurales et urbaines, ainsi qu’aux barrières linguistiques. Un autre défi de taille a été évoqué par Maimouna Yade, qui a expliqué comment les questions intergénérationnelles en Afrique de l’Ouest, en particulier les structures patriarcales persistantes, divisaient la communauté des femmes.
Reconnaissant l’intersectionnalité de différentes formes d’oppression, les intervenantes ont souligné la nécessité d’analyser les points de vulnérabilité et d’élaborer des stratégies qui prennent en compte les femmes défenseures des droits humains dans leur globalité. La démarche qu’elles préconisent consiste notamment à intégrer au sein des réseaux les groupes marginalisés, tels que les femmes homosexuelles, les femmes autochtones, les femmes handicapées et les réfugiées.
En outre, les intervenantes et le public ont formulé de nombreuses recommandations pour favoriser une approche inclusive du féminisme et prendre en compte les différentes formes de féminisme dans la mise en œuvre des projets. L’importance d’adopter une définition large de la notion de genre a également été évoquée, afin d’englober toutes les formes d’orientations et d’identités sexuelles et de favoriser la coopération avec les mouvements LGBTIQ+.
Possibilités et ressources
Les mécanismes internationaux et régionaux de défense des droits humains doivent travailler en partenariat avec les réseaux de protection des droits des femmes et être accessibles à toutes les personnes qu’ils visent à protéger. En ce sens, il convient de mettre en place davantage de programmes de renforcement des capacités, en particulier à l’intention des défenseures. En conclusion, les intervenantes ont appelé à continuer d’assurer le soutien, la reconnaissance et la protection des défenseures des droits humains en Afrique. Elles ont insisté sur l’importance d’adapter les outils aux contextes, de mettre en valeur les réussites et de répondre efficacement aux menaces et aux attaques.
Le sommet sur les femmes défenseures des droits humains en Afrique, qui se tiendra du 28 au 30 novembre 2023, devrait être un rendez-vous important pour célébrer les succès, relever les défis et tracer la voie à suivre dans la lutte pour les droits humains et l’égalité des sexes.
Enfin, Equality Now a annoncé la publication d’un guide destiné à la fois aux défenseur·e·x·s et aux décideur·euse·x·s et intitulé Guide et lignes directrices sur la protection des défenseuses des droits humains en Afrique (disponible en anglais, en français, en arabe et en portugais). Cette nouvelle ressource présente les approches que les États africains et les institutions des droits humains de l’Union africaine pourraient adopter à l’échelon national et dans le cadre des délibérations et initiatives régionales afin de renforcer le cadre juridique de la protection des défenseures des droits humains. Elle fournit des conseils pratiques pouvant permettre l’adoption de mesures efficaces pour la protection des défenseures, fondés sur une approche législative, politique et administrative globale et tenant compte de la dimension de genre.