Le 19 juillet 2016, Adama Traoré perdait la vie aux mains des gendarmes d’une caserne de police française suite à son interpellation. Depuis, sa famille se bat pour voir les agents impliqués sur le banc des accusés. Cinq ans après les faits, l’enquête judiciaire piétine et les gendarmes n’ont jusqu’à présent pas été mis en examen.
Les circonstances du décès d’Adama avaient déjà fait l’objet d’une communication de Rapporteurs Spéciaux de l’ONU. Dans une nouvelle communication envoyée le 15 novembre 2021, les expert.e.s onusiens reprochent cette fois-ci à la France la lenteur de l’instruction, l’absence de mise en examen, le risque de manque d’impartialité et de transparence dans la procédure ainsi que l’absence de prise en considération d’un mobile raciste dans la mort d’Adama. L’inefficacité de l’enquête serait particulièrement préoccupante puisqu’elle reflète “des pratiques récurrentes dans l’instruction d’affaires similaires concernant des personnes d’ascendance africaine ou africains”. En effet, la Cour Européenne des droits de l’Homme a condamné la France à cinq reprises depuis 2017 dans des affaires similaires de violences policières, dont la plus récente en avril 2020.
Le harcèlement judiciaire à l’encontre d’Assa Traoré doit cesser
Alors que l’enquête sur le décès d’Adama s’éternise, Assa Traoré, la sœur d’Adama, est quant à elle victime de harcèlement judiciaire. Face à l’inertie des autorités, et ce, après plusieurs années de mobilisation à l’échelle nationale et internationale, Assa avait publié en juillet 2019 une tribune intitulée J’accuse sur les réseaux sociaux. Dans cette tribune, Assa accuse celles et ceux qui entravent l’enquête depuis des années et demande la vérité aux autorités judiciaires.
Suite à la publication de cette tribune, trois plaintes ont été déposées par les gendarmes contre Assa, et malgré l’acquittement de cette dernière pour les charges de diffamation, des charges civiles pèsent encore contre elle. Elle a en outre été condamnée à rembourser les frais de justice aux gendarmes dans une affaire précédente. Il est clair qu’en multipliant les procédures judiciaires contre Assa Traoré, les autorités tentent de la criminaliser et décrédibiliser son combat pour que justice soit rendue à son frère.
Le Service International pour les Droits de l’Homme (sigle anglais: ISHR), aux côtés du Comité vérité et justice pour Adama, a envoyé un appel urgent aux Procédures spéciales de l’ONU en juin 2021. L’appel demandait aux expertes onusiennes d’intervenir urgemment auprès de la France pour lui demander de mettre fin au harcèlement judiciaire contre Assa Traoré, d’assurer une enquête transparente et impartiale dans le cas d’Adama, et de mettre fin à l’impunité qui entoure les violences policières et racistes qui existent en France.
Répondant à notre appel, la Présidente-Rapporteuse du Groupe de travail d’experts sur les personnes d’ascendance africaine et les Rapporteuses Spéciales sur liberté d’opinion et d’expression, sur la situation des défenseurs des droits de l’Homme, et sur les formes contemporaines de racisme ont adressé le 26 novembre 2021 une nouvelle communication au Gouvernement français exprimant leurs préoccupations quant à la situation.
Les expertes se disent en effet préoccupées par un potentiel processus de criminalisation et décrédibilisation des activités militantes d’Assa, “visant à la dissuader de poursuivre de telles activités.” Les Rapporteuses s’inquiètent aussi de la pression financière pesant sur Assa Traoré du fait de ces procédures judiciaires, ainsi que de l’inégalité des armes, puisque les gendarmes bénéficient d’une protection fonctionnelle couvrant leurs frais judiciaires. Rappelant à la France ses obligations en termes de liberté d’expression, la communication souligne également la récurrence de ces pratiques employées à l’encontre des militant.e.s et personnalités politiques dénonçant les violences policières dans l’Hexagone, notamment à l’encontre des femmes issues des minorités ethniques et raciales. Les Rapporteuses spéciales demandent donc au Gouvernement français des explications, ainsi que des mesures “visant à garantir que les défenseur.e.s des droits humains, y compris les personnes d’ascendance africaine, jouissent d’un environnement sûr pour mener à bien leur travail légitime en faveur des droits humains et de la justice”.
Nous continuons d’appeler la France à:
- Mettre fin au harcèlement judiciaire d’Assa Traoré pour son militantisme demandant à ce que les auteurs de la mort de son frère soient tenus pour responsables et poursuivis ;
- Garantir une enquête rapide, transparente et impartiale sur le cas d’Adama Traoré ;
- Accepter les demandes du Rapporteur spécial des Nations Unies sur le racisme et du Groupe de travail sur les personnes d’ascendance africaine de se rendre dans le pays ; et;
- Mettre fin à l’impunité pour les violences policières et garantir des enquêtes véritablement libres et impartiales sur la mort ou les blessures de toute personne aux mains de la police, en particulier les personnes d’ascendance africaine.