Le 15 novembre 2022, lors d’une des sessions du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale (CERD), Assa Traoré, sœur d’Adama Traoré, s’est rendue à Genève pour assister à l’examen de la France par le CERD. Mme Traoré s’est exprimée lors des rencontres avec les ONG et les membres du CERD et a publié sur les réseaux sociaux un extrait de ses interventions.
Assa Traoré est une éminente femme défenseure des droits humains et fondatrice de « La Vérité pour Adama ». Mme Traroré fait campagne depuis des années pour la vérité et la justice pour son frère, Adama Traoré, un homme noir français tué en garde à vue en 2016. Elle a fait l’objet de harcèlement judiciaire pour avoir fait campagne pour une enquête transparente afin d’établir la responsabilité des gendarmes dans la mort de son frère et qu’ils soient traduits en justice.
En 2020, ISHR a soumis un rapport conjoint avec le Comité Adama, attirant l’attention du Haut Commissaire des Nations Unies sur les violences policières qui ont causé la mort d’Adama Traoré en France en 2016. Il vise notamment à mettre en lumière les violences policières à caractère raciste et les irrégularités judiciaires qui entourent l’affaire. L’affaire a été présentée dans les rapports du Haut-Commissaire.
Au cours des sessions du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, certains membres du Comité ont exprimé leurs inquiétudes quant au profilage racial et à l’usage excessif de la force par la police et les autres forces de l’ordre qui font de nombreuses victimes. D’autres ont évoqué le cas d’Adama Traoré, tout en s’interrogeant sur la responsabilité et la transparence de la police. M. Diaby a demandé où en était l’enquête sur l’affaire Adama Traoré et si les auteurs avaient été arrêtés et/ou condamnés.
Représailles contre Mme Traoré
Depuis sa participation et à cause de cette participation à l’examen de la France par le CERD, Mme Traoré fait l’objet d’intimidations en ligne de la part de groupes d’extrême droite et du syndicat de la police. Le 18 novembre 2022, le Syndicat des Commissaires de la Police Nationale (SCPN) a tweeté et commenté un article publié sur le site du magazine d’extrême droite Valeurs actuelles intitulé : « Assa Traoré est intervenue à l’ONU pour critiquer la France et la police française », avec une photographie du visage de Mme Traoré pour illustrer l’article. Le SCPN a publié, sur son compte Twitter public, suivi par plus de 23 000 personnes, l’article de presse suivant : « Cette personne ne représente personne mais un clan familial criminel. L’ONU ne s’honore pas de donner une tribune à cet activiste menteur et radicalisé qui crache sur le [drapeau français] ». Une déclaration similaire a également été prononcée par le Syndicat France Police, déclarant que Mme Traoré, qui fait partie du « gang Traoré », est intervenue à l’ONU pour « vomir sur la France et la police ».
Cette intimidation en ligne est une mesure de représailles dirigée contre le travail de Mme Traoré et spécifiquement contre son engagement auprès du CERD, dans le but de l’intimider et de la dissuader de témoigner à l’ONU. Il ne s’agit pas d’un incident isolé puisqu’il intervient dans le cadre d’un harcèlement judiciaire de Mme Traoré depuis 2019. Les autorités françaises tentent de la criminaliser et de discréditer son combat pour obtenir justice pour son frère, principalement par le biais de poursuites judiciaires qui sont utilisées pour détourner l’attention du public de la justice attendue pour la mort de son frère mais aussi pour la dissuader de poursuivre son combat. À ce jour, après cinq ans, il n’y a pratiquement aucune avancée concernant le procès des personnes impliquées dans la mort de son frère.
Le fait de prendre pour cible Mme Traoré, membre de la famille de la victime de violences policières à caractère raciste, a un impact négatif considérable sur toutes les autres familles qui souhaitent s’exprimer et demander justice pour les crimes et les violences commis par la police. Les procédures spéciales de l’ONU ont publié plusieurs communications à cet égard.
Il est important de rappeler que la Déclaration des Nations unies sur les défenseur·es des droits de l’homme réaffirme le droit de chacun, individuellement ou en association avec d’autres, d’accéder sans entrave aux organes internationaux, en particulier les Nations unies, et de communiquer avec eux. Dans une déclaration commune des organes de traités à l’occasion du 20ème anniversaire de la Déclaration, comprenant le président du CERD de l’époque et le rapporteur spécial sur les défenseur·es des droits humains, les organes de traités ont réitéré « l’importance pour les défenseur·es des droits humains de pouvoir agir librement et sans aucune interférence, intimidation, abus, menace, violence, représailles ou restriction indue »
ISHR a alerté le CERD et les Procédures spéciales de l’ONU concernées, les exhortant à demander au gouvernement français des mesures et des garanties efficaces pour qu’en toutes circonstances, les défenseur·es des droits humains en France puissent s’engager en toute sécurité et efficacement auprès de l’ONU, sans intimidation ni crainte de représailles, notamment en menant des enquêtes rapides et efficaces sur la diffamation à l’encontre de Mme Traoré pour sa participation au CERD et en demandant des comptes au directeur de la publication du compte Twitter du SCPN.
ISHR a également alerté le gouvernement français en lui demandant de prendre des mesures efficaces pour garantir la sécurité d’Assa Traoré et sa capacité à mener à bien son travail légitime en faveur des droits humains dans un environnement sûr et favorable.
Impact de l’intervention d’ISHR
Le 25 novembre 2022, le Président du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale a écrit une lettre à la France se référant aux informations reçues par le Comité le 23 novembre 2022, concernant des informations préoccupantes relatives à une série de messages diffusés sur Internet contre Mme Traoré suite à sa coopération avec le Comité les 15 et 16 novembre 2022. Dans cette lettre, le Comité a fait part de ses préoccupations concernant les messages diffamatoires diffusés en ligne visant à dénigrer Mme Traoré et à délégitimer ses actions ainsi que sa demande de clarification concernant les circonstances de la mort de son frère. Il a également ajouté être encore plus préoccupé par le fait que certains de ces messages auraient été postés sur les comptes des syndicats des forces de l’ordre. Le Comité a fait valoir que ces messages et les circonstances dans lesquelles ils ont été publiés par les syndicats des forces de l’ordre peuvent constituer une intimidation contre Mme Traoré et pourraient avoir un effet dissuasif sur les personnes qui signalent des actes de discrimination raciale et cherchent à coopérer avec le Comité.
Le Comité a rappelé à la France, État partie à la Convention, son obligation première de prendre des mesures adéquates pour prévenir et répondre à toute forme d’intimidation et de représailles à l’encontre des individus et des groupes qui coopèrent avec le Comité. Il a également demandé à la France de procéder à une évaluation des informations portées à son attention afin de prendre des mesures adéquates pour prévenir et répondre à tout acte d’intimidation ou de représailles contre Mme Traoré.
Le 12 janvier 2023, la France a répondu à la lettre du CERD. Elle a remercié le Comité pour ses alertes concernant les messages diffamatoires diffusés sur les réseaux sociaux à l’encontre de Mme Traoré. Le pays a déclaré prendre ces alertes en considération et a pleinement confirmé le droit du CERD d’échanger avec les membres de la société civile dans le cadre des mécanismes des droits de l’homme des Nations unies. Les autorités françaises ont réitéré leur entière détermination à prévenir et à répondre à toute forme d’intimidation et de représailles à l’encontre de toute personne coopérant avec les mécanismes des Nations Unies et à être attentives à la sécurité personnelle de Mme Traoré et de sa famille. Elles ont également indiqué que le parquet de Paris a ouvert une enquête pénale sur cette affaire.
Le 14 décembre 2022, le CERD a publié ses observations finales concernant l’examen de la France. Il a réitéré ses graves préoccupations concernant l’intimidation et les menaces auxquelles sont confrontés les défenseur·es des droits humains, en particulier lorsqu’ils coopèrent avec le Comité, ce qui « entrave son fonctionnement efficace ». Le Comité a mentionné les messages diffamatoires et les menaces en ligne, en particulier sur les comptes de réseaux sociaux du syndicat de la police, auxquels Mme Traoré a été confrontée. Il a demandé à la France de « prendre des mesures immédiates et efficaces pour assurer la sécurité d’Assa Traoré, de prendre des mesures disciplinaires, de mener les enquêtes nécessaires et, le cas échéant, d’engager des poursuites pénales contre les agents publics impliqués dans ces messages d’intimidation et de menace ». Il a également recommandé au gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour protéger tous les défenseur·es des droits de l’homme contre les menaces et les représailles.
En outre, il a réitéré ses profondes préoccupations concernant un certain nombre de cas signalés de recours excessif à la force et de mauvais traitements, y compris des violences physiques et verbales, par les forces de l’ordre sur les membres de certains groupes minoritaires, en particulier les personnes d’ascendance africaine, les personnes d’ascendance arabe, les Roms, les gens du voyage et les étrangers. Le Comité a pris note avec préoccupation de l’affaire concernant la mort d’Adama Traoré, un jeune homme d’ascendance africaine décédé en 2016 suite à son arrestation par des gendarmes, dont la cause est toujours en cours de détermination. Par conséquent, le Comité recommande à la France de conclure l’enquête sur la mort d’Adama Traoré afin que les responsables soient traduits en justice et sanctionnés de manière appropriée.
Le harcèlement judiciaire de Mme Traoré se poursuit
La Cour d’appel de Paris a condamné Mme Traoré pour atteinte à la présomption d’innocence des gendarmes pour avoir prétendument tué son frère Adama le 19 juillet 2016. Le verdict lui impose de supprimer les publications Facebook concernées et de publier cette décision de condamnation sur la page Facebook « La vérité pour Adama ». Il la condamne également à payer aux gendarmes 6000 euros de frais de justice et 6100 euros pour le retard pris dans la publication de ce communiqué. En somme, elle est tenue de payer 12100 euros à ceux qui ont causé la mort de son frère. Il est important de rappeler que les gendarmes n’ont pas encore été mis en examen. Le jugement est définitif et ne peut faire l’objet d’un appel.
Dans cette vidéo, Assa Traoré explique comment elle a été condamnée par la Cour d’appel de Paris pour avoir porté atteinte à la présomption d’innocence des gendarmes lorsque celle-ci a affirmé qu’ils avaient tué Adama le 19 juillet 2016. La Cour d’appel a condamné Mme Traoré à payer 6000 euros d’honoraires d’avocat aux gendarmes et 6100 euros pour le retard de publication de ce communiqué, ce qui revient à payer 12100 euros à « ceux qui ont causé la mort de mon petit frère ».
ISHR exhorte la France à :
- Prendre des mesures efficaces et immédiates pour mettre pleinement en œuvre les recommandations du CERD.
- Entreprendre une sérieuse réflexion sur les pratiques policières afin de limiter l’usage abusif et disproportionné de la force
- Prendre des mesures pour lutter efficacement contre le harcèlement, la diffamation en ligne et les atteintes à la vie privée des victimes de violences policières et de leurs proches, notamment en faisant cesser la pratique d’exhumer en premier lieu le casier judiciaire des victimes de violences policières ou de leurs proches et/ou de présenter le passé judiciaire de victimes comme une possible justification de leurs décès ou blessures entre les mains de la police
- Rompre les liens de dépendance entre le parquet et le Ministère de la justice afin que ce dernier ne puisse pas interférer dans les enquêtes relatives aux violences policières
- Soutenir le travail des défenseur.es travaillant sur les violences policières
- Mettre un terme au harcèlement judiciaire contre les défenseur.es travaillant sur les violences policières, notamment en mettant un terme aux poursuites infondées ou abusives et intimidations (ex : perquisitions surprises) contre les défenseur.es travaillant sur les violences policières
- Prendre des mesures pour lutter efficacement contre le harcèlement, la diffamation en ligne et les atteintes à la vie privée des défenseur.es travaillant sur les violences policières
- Renforcer le travail des défenseur.es travaillant sur les violences policières en mettant notamment à disposition dans tous les commissariats et autres lieux publics pertinents, une liste publique et facilement accessible de toutes les organisations œuvrant sur la question, notamment celles fournissant une assistance juridique aux victimes
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