Les habitants du village de Prospérité ont demandé aujourd’hui au Comité pour l’élimination de la discrimination raciale des Nations Unies, à Genève, d’adopter une procédure d’urgence afin d’obliger la France à « mettre fin immédiatement » aux travaux de construction de la Centrale électrique de l’Ouest Guyanais (CEOG) et à déplacer ce projet hors de leurs terres.
Le Comité tiendra sa session du 8 au 26 avril.
Le recours a été déposé aujourd’hui, à la demande du chef coutumier Roland Sjabere, par l’Organisation des Nations Autochtones de Guyane française (ONAG) et l’International Service for Human Rights (ISHR) accompagné d’un rapport sur la situation sur le terrain.
Le rapport indique notamment que l’emplacement du projet à proximité de leurs habitations et la déforestation de leur lieu de vie, constituent un acte de discrimination à l’encontre du peuple Kali’na et une entorse aux droits découlant de leur identité autochtone.
Financé par la société d’investissement Meridiam et exploité par la société Hydrogène de France, le projet de la CEOG occupe une parcelle à moins de 2 kilomètres de la commune. Sa construction nécessite le déboisement de plus de 70 hectares d’une forêt ayant une importance culturelle et économique majeures pour les habitants de Prospérité, issus du peuple amérindien Kali’na. En effet, cette communauté tire ses moyens de subsistance de l’accès et l’usage de ce territoire sur lequel elle pratique la chasse, la pêche, la cueillette et l’agriculture.
Depuis 2019, les habitants se sont mobilisés et ont manifesté pour empêcher la construction de la centrale sur ce terrain. Aujourd’hui encore, ils insistent sur le fait qu’ils ne s’opposent pas à la construction de la centrale en tant que telle, mais à son emplacement. Ils dénoncent l’absence de prise en compte de leur consentement préalable par les gestionnaires du projet et les autorités locales, et ont entrepris plusieurs recours en justice pour faire cesser les travaux – tous classés sans suite.
En novembre 2022, plus de 200 personnes, principalement des jeunes autochtones issus du village et de la commune de Saint-Laurent-du-Maroni, ont participé à l’occupation pacifique du site des travaux, à laquelle les autorités ont répondu par la répression.
Les autorités ont procédé à des dizaines d’arrestations et de mises en garde à vue tout au long de cette mobilisation pacifique autour de Prospérité. Le 24 Octobre 2022, le chef coutumier Roland Sjabere, figure principale de la contestation du projet, a été arrêté, menotté et placé en garde à vue, laissant la communauté Kali’na sous le choc.
A cette arrestation et celles d’autres habitants a succédé l’envoi de renforts des forces de l’ordre et l’utilisation contre les manifestants de lanceurs de balles de défense et de gaz lacrymogène, renforçant le climat de tensions.
Interrompus à plusieurs reprises depuis 2019, les travaux ont repris depuis le 16 août 2023, poussant les habitants à continuer leurs efforts d’occupation du terrain quotidiennement dans un climat de tensions montantes.
Face à l’avancée des travaux et à l’épuisement des voies de recours dans les juridictions françaises, l’ONAG et ISHR, à la demande des habitants de Prospérité, ont saisi le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale: l’attitude des autorités locales et nationales sur le projet de la CEOG est en effet contraire aux obligations de la France en tant qu’État partie de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, au respect de laquelle doit veiller le Comité.
« En Guyane, les besoins et les traditions des peuples autochtones continuent d’être des questions secondaires pour les autorités », a dit le chef coutimier Roland Sjabere. « En persistant dans ce projet sous cette forme et à cet emplacement, la République française foule du pied notre identité et met en péril notre mode de vie et l’avenir de nos peuples ».
Pour Clarisse Da Silva, militante au sein du collectif autochtone opposé au projet, « le dossier déposé aujourd’hui démontre clairement que les services de l’Etat ont négligé les droits des peuples autochtones », dans le cadre de la présentation du projet et les travaux de la CEOG. « Le CERD doit entendre la voix des habitants de Prospérité. Leur voix portent avec elles l’appel de toutes les communautés amérindiennes de Guyane qui luttent pour leur droit de préserver leurs cultures et l’accès à leurs terres dans un environnement sain et durable » affirme-t-elle.
« Nous espérons que le Comité saura rappeler la France à ses obligations légales et contribuer à une résolution pacifique des tensions autour de Prospérité », a réagi Madeleine Sinclair, co-directrice des bureaux à New York d’ISHR. « L’empiètement sur les terres autochtones, sans le consentement libre et éclairé des ces communautés, est une infraction manifeste au cadre dressé par la Convention pour l’élimination de toutes les formes de discrimination », précise Sinclair.
Le peuple Kali’na du village Prospérité demande au Comité d’enjoindre par son mécanisme d’alerte rapide la France à mettre immédiatement fin à la construction de la CEOG et d’accéder aux requêtes des habitants en vue du déplacement du projet hors de leurs terres.