Imaginez : votre voisin disparaît du jour au lendemain, laissant derrière lui un appartement entièrement vide. Vous appelez sa famille – mais elle non plus ne sait où il se trouve. Ses collègues, eux, sont bizarrement silencieux. Une telle situation peut vous sembler inédite, pourtant c’est ce que vivent de nombreuses personnes en Chine.
Et à Hongkong aussi, d’autant plus avec le mouvement politique actuel. Après les disparitions des libraires de Hongkong en 2015, le 8 août, c’était au tour d’un employé hongkongais du consulat britannique de disparaître à la frontière entre Hongkong et la Chine continentale, à son retour d’une conférence à Shenzhen. A l’heure actuelle, il est toujours porté disparu. En tant que citoyenne de Hongkong, il est effrayant pour moi que ces disparitions forcées soient utilisées sur des Hongkongais. Ce moyen de répression que nous voyions utilisé au loin, est désormais devenu une menace tangible pour chacun de nous ici.
Le droit international définit la disparition forcée comme la privation de liberté d’un individu contre son gré, privation imposée par l’Etat ou avec son consentement, suivie du refus de l’Etat de reconnaître les faits ou révéler des informations sur le sujet. La personne disparue est placée en dehors de la protection de la loi et se trouve donc exposée à un fort risque de torture.
Les disparitions forcées sont qualifiées de « crime continu », tant que le sort de la personne disparue n’est pas établi avec certitude. Or, Pékin les emploie de manière systémique comme une stratégie pour terroriser la population et cibler toute dissidence. Non seulement cette pratique persiste jusqu’à ce jour, mais le gouvernement s’est récemment efforcé de l’institutionnaliser en l’enracinant dans le droit.
Cinq nouvelles « catégories noires »
Les disparitions forcées sont notamment utilisées contre les avocats défenseurs des droits humains en Chine. Mais pourquoi le pouvoir s’attaque-t-il à eux ? Pendant la Révolution culturelle, les cinq « catégories noires » identifiées par le régime désignaient des groupes sociopolitiques considérés comme indésirables et, de ce fait, fragilisés, dont notamment les propriétaires. Puisant dans ce sinistre héritage, Le Quotidien du peuple, organe de presse officiel du Parti communiste, a désigné cinq nouvelles « catégories noires » au nombre desquelles les avocats des droits humains.
Les avocats des droits humains incarnent la loi et la Constitution, les deux piliers qui protègent les droits et libertés fondamentales dont chacun de nous doit jouir, comme le stipule le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, traité que la Chine a signé en 1998 mais n’a toujours pas ratifié. Les avocats des droits humains sont au cœur de la société civile en Chine, se battant pour la démocratie et la justice sociale, et mobilisant individus et communautés, tout en protégeant leurs droits. Pour le gouvernement chinois, ces avocats mettent en danger la mainmise du Parti communiste. A ses yeux, ce n’est donc qu’en se débarrassant d’eux qu’il parviendra à contrôler l’ensemble de la société civile.
Le cas de Gao Zhisheng est l’un des plus connus. Figurant parmi les avocats des droits humains les plus célèbres du pays, il est souvent surnommé « la conscience de la Chine ». En 2005, sa licence professionnelle a été révoquée par les autorités, après qu’il a accusé le gouvernement d’avoir persécuté des membres de la secte interdite des Falun Gong et des croyants chrétiens. Son cabinet d’avocats « Shengzhi » a aussi été fermé pendant un an. Gao, quant à lui, a été enlevé, torturé et emprisonné à plusieurs reprises depuis 2007, et il est actuellement porté disparu depuis le 13 août 2017.
Autre exemple marquant : celui de l’avocat pékinois Yu Wensheng. Il avait notamment plaidé pour son confrère Wang Quanzhang, détenu depuis près de quatre ans dans le cadre de la campagne de répression contre des avocats des droits humains lancée le 9 juillet 2015. Fervent défenseur des plus faibles, Yu a été constamment confronté à la répression orchestrée par les autorités, détenu pendant 99 jours après avoir manifesté son soutien au « mouvement des parapluies » à Hongkong en 2014. Comme de nombreux avocats, il a également été privé du droit d’exercer son métier.
Depuis, aucune nouvelle
Le 18 janvier 2018, Yu a publié une lettre ouverte recommandant des amendements à la Constitution, appelant à des élections libres et à un système de contrôle du Parti communiste chinois. Le lendemain, il a été embarqué par la police et détenu pendant plus d’un an et demi, sans aucun contact avec sa famille ni accès à un avocat. Son épouse, Xu Yan, et d’autres soutiens ont tenté plusieurs fois de lui rendre visite, en vain. Il a comparu devant un tribunal lors d’un procès en catimini le 9 mai : depuis, aucune nouvelle.
Malgré les protestations de la communauté internationale, la Chine refuse de mettre fin à cette pratique délétère et continue de faire disparaître celles et ceux qu’elle ne tolère pas, dans le but affiché de rétablir ce qu’elle prétend être la « stabilité nationale ». En contrôlant l’information à laquelle ses citoyens ont accès, Pékin ne cesse de limiter la liberté d’opinion, et impose à chacun pensées et comportements. Dans quel but ? Eviter toute contestation de son modèle de « gouvernance facile » et croissance économique.
« 草菅人命» (lire « cao jian ren ming ») est un proverbe chinois relatif au fait de traiter la vie des citoyens comme si elle valait moins qu’un fétu de paille. Une perception qui semble être la règle d’un gouvernement soumis à la botte du Parti communiste.
C’est pourquoi, le 30 août, à l’occasion de la Journée internationale des victimes de disparition forcée, nous avons le devoir de dénoncer cette pratique inhumaine. Les disparitions forcées orchestrées par le gouvernement chinois continuent depuis bien trop longtemps, il est grand temps d’y mettre fin et de retrouver collectivement la conscience, dont chacun de nous a besoin pour protéger la dignité humaine.
Photo: envoyée par Athena Tong