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Nous, les organisations soussignées, sommes profondément déçues de la décision de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (Commission africaine) de rejeter les demandes de statut d’observateur d’Alternative Côte d’Ivoire, de Human Rights First Rwanda et de Synergía – Initiatives for Human Rights. Dans le communiqué final de sa 73ème session ordinaire qui s’est tenue à Banjul, en Gambie, du 20 octobre au 9 novembre 2022, la Commission africaine déclare avoir rejeté les demandes des trois organisations au motif que ” l’orientation sexuelle n’est pas un droit ou une liberté expressément reconnu par la Charte africaine ” et qu’elle est ” contraire aux vertus des valeurs africaines “.
Nous pensons que cette décision de la Commission africaine encourage la discrimination et l’intolérance. La décision a un impact négatif sur le travail visant à mettre fin aux violations continues des droits de l’homme contre les personnes et les communautés sur la base de leur orientation sexuelle réelle ou perçue, de leur identité et/ou expression de genre et de leurs caractéristiques sexuelles. Elle confirme non seulement les préjugés homophobes et transphobes sur le continent africain, mais expose également les défenseurs des droits humains travaillant à la protection des personnes lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres et intersexués (LGBTI) à la violence et à la discrimination de la part d’acteurs étatiques et non étatiques.
La décision de la Commission africaine s’écarte des mesures de protection des personnes LGBTI, notamment des réformes législatives et des décisions exécutive et judiciaire décriminalisant les comportements homosexuels consentis entre adultes, prises par de nombreux États africains tels que l’Angola, le Botswana, le Cap-Vert, la Côte d’Ivoire, le Gabon, le Malawi, le Mozambique, les Seychelles et l’Afrique du Sud.
Les organisations internationales et régionales ont la responsabilité d’assurer la participation des ONG et de la société civile, garantissant ainsi le respect des droits qui sous-tendent la participation. Leur fonctionnement efficace est inexorablement lié à la participation de la société civile. La participation des ONG est inextricablement liée au droit de participer à la conduite des affaires publiques, ainsi qu’aux droits à la liberté d’expression, de réunion pacifique et d’association, qui sont des droits humains protégés par plusieurs traités, notamment la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP). Ces droits doivent être accessibles à tous, sans aucune discrimination, y compris pour des raisons d’orientation sexuelle, d’identité et/ou d’expression de genre et de caractéristiques sexuelles.
En rejetant les demandes des trois organisations, la Commission africaine a dévié de/et agi contrairement à sa propre jurisprudence et à ses propres normes. La Commission africaine a exprimé l’avis que l’expression ” autre statut ” utilisée à l’article 2 de la Charte africaine ne se limite pas aux motifs énoncés dans le texte mais s’étend à d’autres facteurs, y compris “ l’orientation sexuelle”. En fait, dans l’affaire Zimbabwe Human Rights NGO Forum contre le Zimbabwe [Communication n° 245/2002], la Commission africaine a noté que l’objectif de l’article 2 est de “ garantir l’égalité de traitement entre les individus, quels que soient leur nationalité, leur sexe, leur origine raciale ou ethnique, leurs opinions politiques, leur religion ou leurs croyances, leur handicap, leur âge ou leur orientation sexuelle “.
De même, dans la Résolution 275 relative à la protection contre les violences et autres violations des droits humains à l’égard des personnes en raison de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre, réelle ou supposée (ACHPR/Res.275(LV)2014), la Commission africaine a rappelé que la Charte africaine interdit la discrimination à l’égard de tout individu sur la base de distinctions de toute nature telles que la race, l’ethnie, la couleur, le sexe, la langue, la religion, l’opinion politique ou toute autre opinion, l’origine nationale et sociale, la fortune, la naissance ou tout autre statut. Elle a en outre rappelé que l’article 3 de la Charte donne à tout individu le droit à une protection égale de la loi.
Dans le même temps, la Commission africaine a confirmé sans équivoque que la garantie des articles 4 et 5 de la Charte africaine (intégrité de leur personne et interdiction de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains et dégradants) doit être exercée par tout individu, quelle que soit son orientation sexuelle ou son identité de genre. La Commission reconnaît que les personnes LGBTI sont des détenteurs de droits en vertu de la Charte et devraient donc avoir accès à tous les droits humains, y compris le droit à la liberté d’association, sans aucune discrimination. La Commission a souligné que le droit à la liberté d’association doit être compris d’une manière compatible avec le droit régional et international des droits humains. Il est désormais un principe bien établi que la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle est interdite ; la Commission devrait donc défendre ce principe dans toutes ses décisions.
En rejetant les demandes de statut d’observateur, la Commission africaine nie que les personnes qui protègent les droits des personnes LGBTI puissent être des défenseurs des droits humains, contrevenant ainsi à la Résolution 376/2017 sur la situation des défenseurs des droits humains en Afrique, dans laquelle la Commission africaine elle-même a appelé à l’adoption de mesures législatives spécifiques pour reconnaître le “ statut des défenseurs des droits humains et protéger leurs droits et ceux de leurs collègues et des membres de leur famille, y compris les femmes défenseurs des droits de l’homme et celles qui travaillent sur des questions telles que […] l’orientation sexuelle et l’identité de genre ”.
La référence de la Commission aux ” vertus des valeurs africaines ” n’est pas seulement une déformation de la Charte, mais elle s’écarte de la Charte elle-même. Alors que l’article 29(7) stipule que chaque individu a le devoir de “préserver et renforcer les valeurs culturelles africaines positives dans ses relations avec les autres membres de la société, dans un esprit de tolérance, de dialogue et de concertation et, d’une manière générale, de contribuer à la promotion du bien-être moral de la société”, il est difficile de croire que refuser la jouissance des droits et libertés reconnus et garantis par la Charte à tout détenteur de droits sans discrimination, y compris les personnes LGBTI, est une “valeur culturelle africaine positive” protégée par la Charte.
Dans son communiqué, la Commission semble rejeter les principes fondamentaux d’universalité et d’inaliénabilité des droits humains inscrits dans la Déclaration universelle des droits de l’homme comme principes fondateurs de tous les instruments et mécanismes actuels de protection des droits humains. À cet égard, le préambule de la Déclaration universelle des droits de l’homme reconnaît “la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et leurs droits égaux et inaliénables”. La décision de la Commission africaine contrevient donc à l’esprit de l’article 60 de la Charte, qui stipule que ” la Commission s’inspire du droit international relatif aux droits de l’homme et des peuples, notamment des dispositions des différents instruments africains relatifs aux droits de l’homme et des peuples, […] de la Déclaration universelle des droits de l’homme, des autres instruments adoptés par les Nations unies et par les pays africains dans le domaine des droits de l’homme et des peoples “.
La mission, la vision et le mandat des trois organisations incluent, sans s’y limiter, la protection des droits humains des personnes LGBTI et des défenseurs des droits humains. En rejetant leurs candidatures, la Commission envoie un message effrayant à tous les défenseurs des droits humains du continent : la protection des droits humains des personnes LGBTI et des défenseurs des droits humains limiterait leurs possibilités de participer à la conduite des affaires publiques et au système africain. Une telle approche est en contradiction flagrante avec la Résolution 275 qui demande aux ” États parties de veiller à ce que les défenseurs des droits humains travaillent dans un environnement favorable, exempt de stigmatisation, de représailles ou de poursuites pénales ” et rend la Résolution elle-même inopérante puisqu’elle stigmatise tous ceux qui s’efforcent de la rendre effective.
La procédure qui a conduit à la décision de la Commission s’écarte également de sa propre pratique habituelle consistant à examiner les demandes de statut d’observateur en public. Plus important encore, la Commission a publié le rejet des demandes de statut d’observateur dans son communiqué final sans en informer les demandeurs. La Résolution 361 sur l’octroi et le maintien du statut d’observateur aux organisations non gouvernementales travaillant sur les droits de l’homme et des peuples en Afrique demande expressément à la Commission africaine de notifier sans délai sa décision aux demandeurs du statut d’observateur.
Nous craignons que la décision de la Commission africaine n’ait été motivée par la décision 1015 du Conseil exécutif, un organe politique de l’Union africaine qui avait déjà fait pression sur la Commission africaine pour qu’elle retire le statut d’observateur qu’elle avait accordé à la Coalition des lesbiennes africaines. Par conséquent, la décision suggère non seulement la prédisposition de la Commission à apaiser certains États membres répressifs, mais elle signale également un tournant dangereux vers un abandon irrémédiable de son indépendance dans l’exécution du mandat défini par l’article 45 de la Charte. Elle remet en question l’intégrité, l’impartialité et la compétence en matière de droits humains des membres de la Commission africaine, comme l’exige l’article 31 de la Charte.
Sur la base de ce qui précède, les organisations soussignées exhortent la Commission africaine à:
- revenir rapidement sur sa décision de rejeter les demandes de statut d’observateur des trois organisations et de remplir son mandat de protection et de promotion des droits humains pour toutes les personnes, comme l’exige l’article 45 de la Charte ;
- veiller à respecter, protéger et réaliser les droits humains conformément au droit et aux normes internationales et régionales en matière de droits humains, sans aucune ingérence politique et en préservant son indépendance dans toutes ses décisions ;
- réaffirmer l’esprit de la Résolution 275/2014 dans toutes ses décisions et reconnaître les dangers de la violence et des autres formes de discrimination à l’encontre des personnes en raison de leur orientation sexuelle et de leur identité de genre réelles ou supposées ;
- s’engager à protéger tous les défenseurs des droits humains sans aucune discrimination.
- s’abstenir de toute interprétation restrictive de la Charte ayant un impact négatif sur leur mandat de protection et de promotion des droits humains pour tous.
Co-sponsors de la déclaration
African Union Watch
Alternative Côte d’Ivoire
Amnesty International
Article 19
Centre for Human Rights – University of Pretoria
Civicus
Commission indépendante des droits de l’homme en Afrique du Nord
DefendDefenders
Equality Now
Human Rights First Rwanda
Human Rights Watch
Institute for Human Rights and Development in Africa
International Federation for Human Rights
International Service for Human Rights
Le Mouvement pour les Libertés Individuelles
PanAfrica ILGA
Robert F. Kennedy Human Rights
Synergía – Initiatives for Human Rights
The Initiative for Strategic Litigation in Africa
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