Le système onusien des organes conventionnels a fonctionné, au cours de ces cinquante dernières années, sur le principe qu’il a un impact là où cela importe : sur le terrain, dans tous les pays du monde. Cependant, très peu d’éléments tangibles permettent de mesurer et d’expliquer cet impact. Il est difficile de penser que le système pourrait survivre(ou être réformé, voire compris) sans avoir une idée beaucoup plus précise de son impact et des forces en jeu.
Les premières étapes de l’étude furent lancées, il y a de cela deux décennies, par une équipe de chercheurs qui la pilotaient depuis l’université de Pretoria, en collaboration avec le bureau du Haut-commissariat des Nations unies aux droits de l’homme (HCDH). En 1999, Mary Robinson, alors Haut-commissaire aux droits de l’homme, nous a confié la responsabilité de mener une étude mondiale afin de répondre à la question suivante : dans quelle mesure peut-il être démontré que les principaux traités relatifs aux droits humains (il y en avait six à l’époque) et le travail des organes de suivi des traités ont influencé les pratiques des droits humains au plan national ? Cette étude concernait un échantillon de 20 États membres représentant les différentes régions de l’ONU. Quels éléments tangibles permettent, par exemple, de dire que le système des traités a influencé la constitution, la législation, les décisions judiciaires ou les politiques de ces pays ? Est-ce enseigné dans les écoles de droit ? Comment cet impact peut-il être accentué ?
Les facteurs suivants figuraient parmi ceux ayant amélioré l’impact du système : de solides relais de soutien, au niveau national, en faveur des traités, des plans d’action nationaux ainsi que l’instauration de régimes démocratiques. Nous avons également fortement insisté sur le rôle plus important d’interface et de suivi de l’impact que devraient jouer les institutions nationales des droits humains.
Les facteurs suivants figuraient parmi ceux ayant limité l’impact du système : les inquiétudes au sujet de la souveraineté étatique ; une connaissance insuffisante du système ; l’absence de culture solide des droits humains au plan national ; une coordination inefficace entre les services gouvernementaux ; une approche ad-hoc en terme de remontée des informations ; le fédéralisme ; les représailles contre les défenseur.es des droits humains ; une préférence pour les systèmes régionaux et un suivi insuffisant de la part des organes de suivi des traités.
Nous avons signalé que de nombreux pays pointaient du doigt le fait que « Genève est très loin », non seulement sur le plan géographique mais également en termes d’accessibilité et de propriété psychologique. Nous avons proposé que les organes de suivi des traités envisagent de tenir certaines de leurs réunions en dehors du siège de l’ONU à Genève.
Aujourd’hui, vingt ans plus tard, nous étudions les mêmes 20 pays, à nouveau avec l’aide de chercheurs/chercheuses basé.es dans les pays concernés, et une nouvelle fois en collaboration avec le HCDH. Nous posons les mêmes questions. Cette étude est presque terminée. Nous pensons la publier au milieu de l’année prochaine. La professeure Rachel Murray, de l’université de Bristol, en sera la corédactrice.
Les données d’une étude plus récente sont encore en train d’arriver. Jusqu’à présent, les résultats apportent d’autres éléments tangibles attestant du fort impact du système dans la plupart des pays. Cependant, une analyse systématique ne sera possible qu’une fois toutes les données collectées.
Aujourd’hui, vingt ans plus tard, nous étudions les mêmes 20 pays, à nouveau avec l’aide de chercheurs/chercheuses basé.es dans les pays concernés, et une nouvelle fois en collaboration avec le HCDH.
À ce jour, certaines des problématiques identifiées dans l’étude précédente ont été résolues au sein du système. Par exemple, le rôle des dispositifs nationaux de mise en œuvre et de suivi bénéficie d’une reconnaissance beaucoup plus forte. La Convention relative aux droits des personnes handicapées, adoptée en 2007, appelle explicitement à la création de « relais nationaux » et à la désignation d’institutions nationale des droits humains afin de promouvoir, de protéger et de suivre la mise en œuvre de la Convention.
L’étude précédente avait proposé d’établir un mécanisme interministériel pour traiter de la remontée des informations et de la mise en œuvre, à l’instar des « mécanismes nationaux d’élaboration des rapports et de suivi » qui sont aujourd’hui en train d’être mis en place.
La nécessité de « rapprocher le système de la réalité du terrain » est maintenant reconnue par diverses ONG qui préparent l’examen 2020 des organes de suivi des traités. L’idée de réunions des organes conventionnels en dehors de Genève a été, une nouvelle fois, émise par Heyns et Gravett dans un blog, il y a de cela deux ans, en se basant également sur l’expérience vécue à l’échelle régionale. La première réunion décentralisée d’un organe conventionnel de l’ONU est maintenant prévue en 2020.
Au cours de ces deux études, nous avons très clairement pris conscience de l’importance d’obtenir une idée précise de l’impact du système, mais également des limitations de ce que nous faisions. Avec seulement 20 pays couverts, la taille de l’échantillon est relativement limitée. De plus, l’aperçu d’une situation à un moment précis dans ces pays peut rapidement devenir obsolète en raison des évolutions.
Suite à une vaste consultation, nous sommes actuellement en train de mettre en place une base de données en ligne où les informations sur l’impact du système dans tous les États membres de l’ONU seront postées. Pour commencer, les études et documents connexes sur les 20 pays mentionnés ci-dessus seront publiés sur un site web. Pendant ce temps, des équipes sont formées dans des universités du monde entier et sont composées d’étudiant.es de différents pays qui réunissent les informations pertinentes sur leur pays d’origine pour les publier sur le site web. Nous prévoyons que jusqu’à 50 nouveaux pays seront couverts par an et que ceux qui sont déjà couverts seront mis à jour. A l’ère du crowdsourcing, les contributions de toutes les parties concernées (ONG, chercheurs/chercheuses individuel.les, etc.) seront sollicitées.
Ce sera un projet de recherche de grande ampleur et sur le long terme, mais qui, espérons-le, permettra à la sagesse collective des gens du monde entier de veiller à ce que le système des traités demeure aussi efficace et aussi réactif aux besoins de notre temps que possible. Ce projet vise également, d’une certaine manière, à répondre au regret que « Genève est très loin » et de s’assurer que le système des traités se rapproche des détenteurs/détentrices des droits, même si ce n’est que d’un point de vue virtuel.
Le système des traités a joué un rôle central dans le développement de normes dans les droits humains internationaux au cours des six dernières décennies. L’avenir du système des traités dépend de sa capacité à garder son rôle moteur en termes normatifs, mais il faudra faire davantage : il lui faudra améliorer sa visibilité internationale et faire en sorte qu’un plus grand nombre de personnes se l’approprie. De plus, les normes des traités devront se traduire dans le droit et les pratiques au niveau national. C’est une étape importante que la nouvelle étude vise à aider à franchir..
Les opinions exprimées dans cet éditorial ne reflètent pas nécessairement celles de ISHR.