La contribution des petits Etats au système des traités des Nations unies est importante. Malgré leur taille, ces Etats participent à la rédaction des traités et sont des leaders d’opinions ainsi que de fervents défenseurs des droits humains. Des citoyen.nes de petits pays font partie des organes de traités onusiens sur les droits de l’homme, et amènent un point de vue différent sur des problématiques essentielles. De plus, ces Etats renforcent les organes de traités en apportant des informations concrètes et en mettant en lumière des problématiques qui affectent les populations vulnérables. En ce sens, les petits pays sont essentiels lorsqu’il s’agit de renforcer une vision inclusive des droits humains. Ces Etats font cependant face à de grands défis dans leur relation avec le système onusien des traités, en particulier avec les organes de traités des Nations unies qui se réunissent à Genève.
Prenons le cas de la Jamaïque, dont la population est légèrement inférieure à 3 millions de personnes. Les entretiens menés avec diverses parties prenantes dans le pays montrent que ces dernières font face à des défis importants les empêchant de travailler efficacement avec les organes de traités des Nations unies. Ces défis sont liés à un manque de ressources ainsi qu’à la méconnaissance et à la complexité du système des traités des Nations unies qui rebute les parties prenantes nationales. Ces difficultés sont illustrées par l’expérience de trois de ces parties concernées, le Ministère jamaïcain des Affaires étrangères, les institutions étatiques impliquées dans la protection des droits humains, et les communautés de titulaires de droits.
La problématique des ressources limitées est clairement reflétée par la taille du Ministère jamaïcain des Affaires étrangères, dont le personnel relativement restreint doit gérer des procédures complexes, et parfois inefficaces, pour travailler avec les organes de traités. Ils/Elles préparent et présentent des rapports périodiques à une multitude d’organes onusiens de traités qui sont tous dotés de leurs propres procédures et de leur propre calendrier. Dans ce contexte, les contraintes de capacité entraînent systématiquement des retards dans les rapports d’État et freinent la mise en œuvre des recommandations des organes de traités. Les contraintes de capacité ont également des conséquences sur la composition de la délégation jamaïcaine auprès des organes de traités des Nations unies, avec parfois un manque de représentant.es de haut rang pouvant apporter des informations utiles. Bien sûr, le manque de volonté politique est un élément important expliquant certaines de ces difficultés. Néanmoins, les contraintes de capacité qui touchent les pouvoirs publics ne peuvent pas être ignorées.
Au-delà du ministère des Affaires étrangères, les entretiens semblent indiquer que les institutions étatiques (qui connaissent bien les problématiques relatives aux droits humains) comme les commissions parlementaires, méconnaissent généralement le système des traités des Nations unies. Par conséquent, ils n’ont pas pour habitude de travailler avec les organes de traités des Nations unies.
Le coût et les procédures tatillonnes de demande de visa pour voyager à Genève ou à New York sont un obstacle que seul.es les privilégié.es peuvent franchir.
Au niveau des populations, les personnes titulaires des droits méconnaissent le système des organes de traités qui leur est opaque. Même lorsque les organisations de la société civile connaissent ces organes, travailler avec eux est difficile. Le coût et les procédures tatillonnes de demande de visa pour voyager à Genève ou à New York sont un obstacle que seul.es les privilégié.es peuvent franchir. Par conséquent, les organisations de la société civile ne sont qu’un petit nombre à soumettre des rapports indépendants ou à se présenter devant les organes de suivi des traités des Nations unies.
Ces défis sont communs aux petits Etats de la planète, dont la situation géographique et la taille empêchent de s’engager pleinement avec les organes de traités des Nations unies. Il est important de noter que ces défis ont des conséquences négatives sur la diversité des problématiques traitées par les organes de traités des Nations unies, et finissent par nuire à la légitimité du système des traités. Le consensus parmi les personnes interrogées en Jamaïque est que la situation s’améliorerait fortement si les organes de traités se déplaçaient dans le pays.
Le prochain examen est une occasion de procéder à deux changements importants : regrouper les rapports périodiques et procéder à un examen de mi-parcours de la mise en œuvre au niveau national.
Le prochain examen des organes de traités par l’Assemblée Générale est une occasion de procéder à deux changements importants dans les pratiques actuelles : regrouper les rapports périodiques, afin que la performance dans le cadre de tous les traités ratifiés soit examinée au sein de deux groupes consolidés, et procéder à un examen de mi-parcours de la mise en œuvre au niveau national.
Fusionner les rapports sur la mise en œuvre de plusieurs traités et regrouper les discussions avec les organes de traités permettrait d’optimiser l’interaction des États avec les organes de traités. L’État et les autres parties prenantes nationales pourraient réduire les dépenses liées aux multiples rapports et voyages à Genève. Mais surtout, l’examen dans le cadre d’un certain nombre de traités serait coordonné, renforçant les synergies et évitant les doublons inutiles en matière de rapports et de recommandations. Le regroupement améliorerait également la visibilité des recommandations qui seraient ainsi émises simultanément, produisant un résultat cohérent au lieu de procéder de manière aléatoire et dispersée comme c’est le cas aujourd’hui.
Le second changement concerne les échanges entre les organes de traités et les pays, en accord avec ce qui est souhaité par un grand nombre d’acteurs/rices au niveau national. A mi-parcours du cycle de présentation des rapports, une délégation de membres de différents organes de traités rendrait visite au pays pour discuter de la mise en œuvre et des recommandations avec les pouvoirs publics, notamment tous les ministères concernés, le parlement, les institutions nationales des droits humains et les mécanismes nationaux de mise en œuvre et de suivi des droits humains, la société civile et les équipes de pays de l’ONU.
Cet examen technique des progrès dans la mise en œuvre (Technical Review of Implementation Progress ou TRIP) permettrait d’accomplir plusieurs choses : évaluer les mesures prises, améliorer la connaissance des organes de traités, aider à traduire les recommandations en réalités concrètes dans le pays concerné, et s’assurer que les gouvernements aient à rendre des comptes. Les résultats de cet examen technique (TRIP) seraient communiqués aux organes de traités et les problématiques soulevées seraient intégrées au prochain cycle de présentation des rapports. Le mécanisme TRIP contribuerait également à une approche globale des avancées en matière de droits humains, en faisant le lien avec les recommandations émanant d’autres mécanismes des droits humains (comme l’examen périodique universel ou les procédures spéciales) ainsi qu’avec les ODD concernés par la mise en œuvre.
L’examen des organes de traités en 2020 est une véritable occasion de renforcer le lien entre les organes de traités et les parties concernées au sein des pays. Pour les petits Etats, en particulier, la proposition visant à regrouper les examens et le mécanisme TRIP pourraient répondre aux contraintes de capacité en rationalisant les rapports des États et en renforçant les capacités au niveau national. Les visites de pays dans le cadre du mécanisme TRIP pourraient également séduire les parties prenantes nationales qui ont été rebutées par le système des organes conventionnels. Ainsi, TRIP pourrait ouvrir la voie à un discours et une action plus inclusifs sur les droits humains au niveau national et international.
Les opinions exprimées dans cet éditorial ne reflètent pas nécessairement celles de ISHR.
Illustration: OpenGlobalRights