Un élément essentiel du processus onusien de renforcement des organes conventionnels relatifs aux droits humains a été négligé cette année. Il s’agit des mécanismes de plaintes émanant de particuliers qui permettent, en cas d’atteinte aux droits humains, de saisir les organes. C’est surprenant car, dans le système onusien en charge des droits humains, les plaintes individuelles sont un des éléments ayant connu la plus forte expansion de ces dernières décennies.
Actuellement, huit des dix organes conventionnels relatifs aux droits humains peuvent donner leurs « observations » (le terme « jugement » n’est pas utilisé car il ne s’agit pas d’une procédure judiciaire formelle) sur les « plaintes » émanant de particuliers (ou « communications », dans le jargon onusien). Parallèlement au renforcement de la capacité des organes à recevoir les plaintes émanant de particuliers, le nombre d’États acceptant volontairement ces plaintes (ce qui est, en vertu des traités, optionnel) a également été en augmentation constante.
Entre 2013 et 2015, le nombre d’États ayant ratifié les Protocoles facultatifs, permettant au Comité des droits de l’enfant et au Comité des droits économiques, sociaux et culturels d’examiner les communications émanant de particuliers, a augmenté de 144 % et de 90 %. Les États se positionnant en faveur des mécanismes de plaintes émanant de particuliers sont situés sur tous les continents de la planète. En retour, certains comités, notamment le Comité des droits de l’homme (CDH) et le Comité contre la torture (CAT), ont adopté des centaines d’observations. Rien qu’en 2018-2019, en moyenne, le nombre de décisions finales adoptées a été de 130 pour le CDH et de 57 pour le CAT.
En outre, les organes conventionnels ne manquent pas de nouvelles affaires, comme le montre le nombre de communications en attente d’examen par certains comités, un retard se chiffrant à 1 587 communications en date du 31 octobre 2019. Entre 2013 et 2016, le nombre de communications individuelles enregistrées par les organes conventionnels a augmenté de 85% suivi d’une nouvelle augmentation de 80% en 2018-2019 (en comparaison avec 2016-2017).
Les organes conventionnels ne manquent pas de nouvelles affaires, comme le montre le nombre de communications en attente d’examen par certains comités, un retard se chiffrant à 1 587 communications en date du 31 octobre 2019.
Les organes conventionnels ont souvent adopté un modèle de protection des droits humains fondé sur les mécanismes de plaintes émanant de particuliers, traditionnellement associé aux commissions et aux cours régionales des droits humains. Cependant, le prochain défi pour l’ensemble du système onusien des droits humains est de faire en sorte que ce modèle soit efficace pour les victimes de violations des droits humains et pour les utilisateurs finaux (ceux qui utilisent le travail des comités pour appuyer la prise de décision et les actions de plaidoyer dans le domaine des droits humains). Cela comprend les victimes de violations des droits humains, les juges, les institutions nationales de défense des droits humains, la société civile, et les commissions et cours régionales des droits humains.
Un certain nombre de défis importants doivent être surmontés pour y arriver.
Le premier défi consiste en l’incapacité des organes conventionnels à traiter les plaintes rapidement et efficacement. Les retards dans les affaires, qui concernent souvent de graves violations des droits humains, font que les victimes tardent énormément à obtenir justice. À l’heure actuelle, certaines victimes attendent pendant des années avant même que l’enregistrement de leur plainte ne soit acté. Il est impératif que les victimes soient au cœur d’une approche visant à traiter ces plaintes individuelles efficacement, et que le secrétariat des organes conventionnels de l’ONU relève le défi consistant à assurer constamment le traitement d’un volume important de plaintes. Les organes conventionnels peuvent s’inspirer des pratiques des commissions et des cours régionales des droits humains.
Le second défi concerne l’élaboration et la communication des « observations » des organes conventionnels de l’ONU sur ces centaines de plaintes : une jurisprudence mondiale vitale en matière de droits humains. Huit traités et huit comités sont concernés avec environ 250 observations émises chaque année et un secrétariat aux ressources insuffisantes dont la capacité organisationnelle est trop limitée et qui ne peut présenter l’ensemble des travaux. Mais les victimes doivent, entre autres, savoir s’il y a une grande différence entre déposer une plainte devant un comité plutôt qu’un autre, comment présenter l’affaire les concernant, quelles sont les règles procédurales qui s’appliquent. De plus, des différences importantes entre les décisions des organes conventionnels de l’ONU nuisent à leur crédibilité et handicapent les individus et les groupes qui ne sont pas des spécialistes (et qui n’ont pas la capacité à s’y retrouver facilement dans les complexités juridiques).
Les victimes doivent, entre autres, savoir s’il y a une grande différence entre déposer une plainte devant un comité plutôt qu’un autre, comment présenter l’affaire les concernant, quelles sont les règles procédurales qui s’appliquent.
Le troisième défi consiste en une mise en œuvre efficace. Ainsi que le font remarquer des organisations comme European Implementation Network, la mise en œuvre des jugements en matière de droits humains est complexe, même dans le cas de la Cour européenne des droits de l’homme. Les organes conventionnels des Nations unies sont face à un défi encore plus grand car le statut juridique des « observations » dépend, dans chaque pays, du cadre juridique national, de l’interprétation du droit par les tribunaux et de l’exécutif. Même si des clarifications importantes ont été apportées dans certains pays, comme en Espagne, davantage doit être fait pour garantir que les États accordent des réparations individuelles aux victimes et prennent des mesures afin que ces violations ne se reproduisent pas.
Il y a de nombreux exemples positifs d’organes conventionnels onusiens ayant réussi à obtenir réparation pour les victimes de violations des droits humains et à fournir d’importantes orientations, en matière d’interprétation, aux tribunaux nationaux et régionaux. Les organes conventionnels ont, notamment, apporté des protections solides aux personnes LGBTI, aux particuliers, aux femmes, aux victimes du non-respect du principe de non-refoulement, aux victimes de disparitions forcées et à leurs proches, et aux enfants.
Un récent rapport de la société civile émet sept grandes recommandations pour l’examen à venir des traités de l’ONU. Ces recommandations reprennent et complètent un grand nombre des idées émises dans cette série d’articles :
- Donner des informations fondamentales et essentielles aux victimes de violations des droits humains afin d’accéder efficacement aux mécanismes de plaintes des organes conventionnels de l’ONU relatifs aux droits humains ;
- Mieux communiquer avec les plaignants pendant l’examen de leur plainte ;
- Améliorer la cohérence, la transparence et la qualité des décisions prises sur les communications émanant de particuliers ;
- Garantir l’intelligibilité et l’utilité des réparations recommandées ;
- Assurer un suivi efficace pour la bonne mise en œuvre des observations des comités ;
- Garantir que le travail des comités soit communiqué efficacement aux utilisateurs finaux ;
- Améliorer de toute urgence le financement du Bureau du Haut-Commissaire aux droits de l’homme (HCDH) pour garantir le plus haut niveau d’expertise dans le traitement des communications émanant de particuliers.
En résumé, ces recommandations exhortent l’ensemble des parties concernées à œuvrer au renforcement et à l’amélioration du fonctionnement des mécanismes onusiens de plaintes émanant de particuliers. Une approche axée sur les victimes et les besoins des utilisateurs finaux doit être adoptée dans toutes les actions visant à améliorer le système. C’est la seule manière de renforcer le potentiel transformatif des traités et d’améliorer les mécanismes de plaintes émanant de particuliers.
Les opinions exprimées dans cet éditorial ne reflètent pas nécessairement celles de ISHR.
Illustration: OpenGlobalRights