Les 22 et 23 octobre 2024, le Comité des Nations unies sur l’application du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (Comité des droits de l’Homme) a examiné la France. Lors de cet examen périodique très attendu, ISHR a appuyé la participation d’Assa Traoré et du Comité “La Vérité pour Adama“.
Assa Traoré est une défenseure des droits humains et fondatrice du comité “La Vérité pour Adama“. Elle milite depuis des années afin d’obtenir justice pour son frère Adama Traoré, un jeune français noir tué lors d’une opération de police en 2016. Depuis lors, Assa a été victime d’harcèlement judiciaire pour le seul fait d’avoir exigé une enquête transparente afin d’établir la responsabilité des gendarmes impliqués dans la mort de son frère, et pour qu’ils soient traduits en justice.
C’est dans ce contexte qu’ISHR et le Comité Adama ont souhaité attirer l’attention du Comité des droits de l’Homme sur la problématique des violences policières, et plus particulièrement sur le cas d’Adama ainsi que sur l’issue de l’enquête et de la procédure dans cette affaire.
Un appel à la responsabilité
Le classement de l’affaire par la justice française, alors même que le lien de causalité entre les actions des trois gendarmes mis en cause et la mort d’Adama Traoré ait été reconnu, constitue un déni de justice. Les trois hommes ont été exonérés de toute responsabilité pénale au motif que la force dont ils ont fait usage sur Adama répondait aux critères de stricte nécessité et proportionnalité imposés par le droit français.
Nous avons informé le Comité des droits de l’Homme sur le fait que ce décès s’inscrit dans un contexte large, celui de l’usage excessif de la force contre les personnes racisées – en particulier celles d’ascendance africaine – ainsi que des pratiques racistes systémiques en France. Nous avons par ailleurs signalé aux experts que l’État français manque à ses obligations en matière de non-discrimination et de droit à la vie en vertu du Pacte. Entre autres, nous leur avons demandé d’une part, de soulever le cas d’Adama Traoré lors de l’examen periodique, et d’autre part de demander à l’État partie de fournir des informations sur les mesures qu’il a prises pour conclure l’enquête sur la mort d’Adama.
Le Comité inquiet de l’issue donnée à l’affaire Adama Traoré
Lors du dialogue avec la France, le Comité des droits de l’Homme a exprimé plusieurs préoccupations à propos de l’usage excessif de la force par les forces de l’ordre. L’experte Tijana Surlan a notamment questionné l’impunité apparente dans des affaires où les personnes appréhendées ont été blessées ou tuées. Elle a d’ailleurs cité le cas d’Adama Traoré comme un exemple clé et s’est inquiétée du fait que, “après huit ans de procédure, personne n’a été reconnu coupable“.
Par ailleurs, l’experte a demandé à la France de fournir des informations sur les mesures de réparation pour les victimes et leurs familles. Elle l’a également interrogée sur le la pratique du profilage racial, des contrôles d’identité fondés sur des biais racistes ainsi que sur l’utilisation d’armes à feu lors d’opérations de maintien de l’ordre.
Des réponses insatisfaisantes
Globalement, la France a répondu de façon lacunaire aux interrogations du Comité des droits de l’Homme. L’expert Santos Pais a d’ailleurs exprimé une certaine déception à cet égard. En effet, la délégation française s’est contentée de mentionner le cadre juridique en matière d’usage de la force, soulignant qu’il est régi par des règles strictes, ainsi que l’existence de formations sur la discrimination. La France a également présenté des chiffres sur les procédures judiciaires engagées contre les agents des forces de l’ordre, l’issue des enquêtes ainsi que les peines prononcées. En revanche, aucune analyse de fond ni aucun commentaire n’ont été fournis quant aux allégations de violences policières racistes.
Le Comité a répondu en réitérant son inquiétude concernant l’application des principes de proportionnalité et de nécessité qui régissent l’usage de la force car les réponses de la France, qui n’ont pas porté sur le coeur du problème, témoignent d’une réticence non seulement à aborder la question des violences commises par les forces de l’ordre, mais aussi à reconnaître les préoccupations légitimes des personnes racisées.
Pour rappel, en 2022 le Comité pour l’Elimination de la Discrimination Raciale avait déjà noté “avec préoccupation l’affaire concernant la mort d’Adama Traoré” et avait recommandé à la France de “conclure l’enquête sur l’affaire concernant la mort d’Adama Traoré, afin que les responsables soient traduits en justice et punis de manière appropriée”.
L’impact de la contribution d’ISHR et du Comité Adama
L’une de nos principales recommendations est que les autorités françaises doivent veiller à ce que les enquêtes sur les décès ou les blessures causées par les forces de l’ordre soient véritablement indépendantes et impartiales. Nous avons également demandé au Comité d’exiger que les victimes de violence policière et leurs familles aient accès à la justice et bénéficient de réparations adéquates. D’autres organisations de la société civile ont également insisté sur ces demandes dans leurs contributions.
Finalement, les experts ont fait écho à ces recommendations dans leurs observations finales. En particulier, le Comité a demandé à la France de veiller à ce que toutes les allégations de recours excessif à la force fassent l’objet d’enquêtes rapides, approfondies et impartiales, et que des poursuites pénales soient engagées lorsque cela est nécessaire. De plus il a reitéré l’importance de garantir l’accès à la justice pour les victimes de violences policières et leurs familles.
Cette prise en compte de nos recommandations est une étape cruciale dans la lutte pour la justice, mais cela ne constitue qu’un échantillon d’un combat plus large contre les violences policières racistes et systémiques en France.
Si les préoccupations et les recommandations du Comité constituent une reconnaissance importante du problème, il est essentiel que le gouvernement français prenne des mesures concrètes pour les mettre en oeuvre.