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État de Palestine

Profil de défenseure : Yasmeen EL-Hasan, de Palestine

"L’ironie tragique de la situation est qu’il devrait être très facile pour les responsables d’agir immédiatement et de toute urgence. Les États doivent simplement respecter leurs obligations légales."

Bonjour Yasmeen, merci d’avoir accepté de nous raconter votre histoire. Pouvez-vous vous présenter brièvement et nous présenter votre travail ?

Je suis responsable du plaidoyer international à l’Union des comités de travail agricole (UAWC) en Palestine. L’UAWC soutient la détermination des agriculteur·rice·e·x·s, des communautés rurales et des pêcheur·euse·x·s palestinien·ne·x·s. Nous protégeons et défendons la souveraineté palestinienne face à l’occupation israélienne et à la dépossession de ses terres et de ses ressources naturelles. Nous avons été fondés par un groupe d’agronomes bénévoles en 1986 et nous travaillons à la fois en Cisjordanie et dans la bande de Gaza en Palestine. L’UAWC est également membre de La Via Campesina (LVC), le mouvement paysan mondial.

Qu’est-ce qui vous a poussée à vous engager dans la défense des droits humains ?

Je suis Palestinienne. Les Palestinien·ne·x·s sont les gardien·ne·x·s de cette terre, et notre terre est sous occupation coloniale. C’est simplement faire partie d’une communauté, appartenir à la terre, faire ce qui est juste. Nous trouvons les espaces où nous pouvons le mieux servir la cause, et nous faisons ce que nous pouvons. Nous avons la responsabilité de prendre soin de notre terre et les uns des autres, et nous continuerons à le faire, jusqu’à la libération et bien après.

À quoi ressembleraient la Palestine et votre communauté dans le futur si vous atteigniez vos objectifs, si l’avenir pour lequel vous vous battez devenait une réalité ?

L’avenir, c’est une Palestine libérée, du fleuve à la mer. Décolonisation. Autodétermination. Souveraineté alimentaire.

Comment votre travail contribue-t-il à faire de cet avenir une réalité ?

Israël est une colonie de peuplement. Le colonialisme de peuplement implique l’élimination et le déplacement forcé de la population autochtone d’une terre et son remplacement par une population de colons. Par définition, il repose sur le vol de terres. Et une colonie de peuplement – ​​comme le monde en a été témoin et comme nous l’avons vécu et subi pendant plus de 76 ans – fera tout ce qu’il faut pour tenter de voler cette terre. Notre travail consiste à la protéger.

La souveraineté alimentaire est une grille de lecture essentielle pour comprendre la libération palestinienne et le démantèlement du colonialisme de peuplement. À l’UAWC, nous disons très intentionnellement que nous travaillons pour la souveraineté alimentaire, et non pour la sécurité alimentaire. L’insécurité alimentaire sous toutes ses formes, y compris et surtout la famine que connaissent les Palestinien·ne·x·s de Gaza, n’est pas due à la pénurie de ressources. Elle est plutôt le résultat intentionnel de l’occupation dans une tentative de nettoyage ethnique des Palestinien·ne·x·s de notre terre. Si un peuple ne peut pas subvenir à ses besoins sur sa terre, comment pourra-t-il survivre ? L’une des stratégies fondamentales du colonialisme de peuplement israélien consiste à rendre les moyens de subsistance des Palestinien·ne·x·s insoutenables en ciblant nos systèmes alimentaires et notre autonomie. Si nous avions la souveraineté sur notre terre et nos ressources naturelles, nous serions en sécurité alimentaire. Donc pour être en sécurité alimentaire, il faut la souveraineté alimentaire. Et pour qu’il y ait souveraineté alimentaire, il faut la libération.

Si nous avions la souveraineté sur notre terre et nos ressources naturelles, nous serions en sécurité alimentaire. Donc pour être en sécurité alimentaire, il faut la souveraineté alimentaire. Et pour qu’il y ait souveraineté alimentaire, il faut la libération.
Yasmeen EL-Hasan

Chaque personne a un rôle différent à jouer dans notre lutte collective pour la libération. Les agriculteur·rice·e·x·s, les paysan·ne·x·s et les éleveur·euse·x·s de la zone C de Cisjordanie, qui restent sur leurs terres malgré les déplacements forcés, les attaques violentes des colons et des forces d’occupation israéliennes (FOI) et l’isolement des ressources, font de cet avenir libéré une réalité. Nos collègues de Gaza, qui ont touxtes été déplacé·e·x·s de force à plusieurs reprises, ont perdu des êtres chers et travaillent dans des camps pour nourrir les personnes qui les entourent, font de cet avenir libéré une réalité. Ma grand-mère, qui met tout son cœur à prendre soin de sa terre et à élever des enfants et des petits-enfants qui font de même, fait de cet avenir libéré une réalité. Tous les gardien·ne·x·s de la terre, par leur détermination et leur résistance, font de cet avenir libéré une réalité. Notre rôle est de soutenir la détermination de notre peuple et de protéger notre terre, et c’est un honneur d’y participer.

Avez-vous été la cible de menaces ou de tentatives de représailles en raison de votre travail ?

En 2021, après environ 15 ans de ciblage, l’occupation israélienne a désigné l’UAWC comme une organisation « terroriste », tout comme cinq autres grandes organisations de la société civile palestinienne. Les forces d’occupation israéliennes ont fait irruption dans nos bureaux à deux reprises, ont barricadé nos portes avec des plaques de fer et ont interdit à l’UAWC de poursuivre ses activités. Suite à cette désignation, une vaste campagne de solidarité internationale a été lancée en faveur des six organisations désignées. Elle a notamment donné lieu à d’innombrables déclarations de l’ONU, d’organismes internationaux, d’organisations, de personnalités politiques et de mouvements populaires condamnant cette désignation, ainsi qu’à de multiples audits et examens financiers indépendants et concluants.

Cette criminalisation israélienne de l’UAWC et d’autres organisations de la société civile palestinienne illustre la fragilité de l’occupation. Il s’agit d’une tactique de peur, visant à effrayer les organisateur·rice·x·s palestinien·ne·x·s pour les forcer à se soumettre et à inciter les sympathisant·e·x·s internationaux à se désengager. Mais ce qu’ils ne comprennent pas, c’est que ce n’est pas seulement un travail pour nous. C’est plus que cela. Cette désignation rend notre travail plus difficile, certes, mais nous resterons toujours engagé·e·x·s à soutenir nos communautés et à protéger notre terre.

Mais quel que soit leur travail, touxtes les Palestinien·ne·x·s sont la cible des menaces et des attaques israéliennes. Des milliers et des milliers de Palestinien·ne·x·s sont toujours retenu·e·x·s en otage, enfermé·e·x·s dans les prisons et les camps de la mort israéliens, et des centaines de milliers de Palestinien·ne·x·s sont tombé·e·x·s en martyrs au cours de notre lutte qui dure depuis plus de 76 ans. Nous ne les oublierons jamais.

Avez-vous un message à transmettre à l’ONU/à la communauté internationale ?

Les systèmes internationaux actuellement en place ne fonctionnent pas. Soit ils ont échoué lamentablement dans leur prétendue mission de protection des droits humains, soit ils sont en réalité destinés à protéger les intérêts impérialistes et capitalistes et fonctionnent donc exactement comme prévu. Quelle que soit la façon dont on regarde la situation, ils nous tuent. Le génocide et la famine ne se produisent pas par accident. Ils sont fabriqués. Il s’agit d’une catastrophe provoquée par l’homme, intentionnellement construite.

L’ironie tragique de la situation est qu’il devrait être très facile pour les responsables d’agir immédiatement et de toute urgence. Les États doivent simplement respecter leurs obligations légales. Le droit international exige des États qu’ils prennent toutes les mesures possibles pour ne pas aider ni encourager les violations des droits humains, l’occupation, le génocide, etc. La Cour internationale de justice (CIJ) a jugé que la présence de l’occupation israélienne en Cisjordanie était illégale, et l’affaire en cours devant la CIJ a montré qu’Israël commettait un génocide. Les États sont obligés d’imposer immédiatement, à tout le moins, des sanctions économiques et un embargo sur les armes. Et pourtant, les États choisissent d’être complices.

Nous soulignons que le cessez-le-feu n’est pas la fin. Il faut lever le siège de Gaza, démanteler les structures coloniales et mettre un terme total à l’occupation israélienne de la Palestine.

Le monde connaît la plus grande mobilisation de masse en faveur de la Palestine que nous ayons jamais vue. Aux personnes qui se tiennent aux côtés de la Palestine : nous le voyons et nous le ressentons. Cela fait une différence. Et alors que d’autres communautés marginalisées à travers le monde luttent également pour leur libération, nous affirmons également que nos luttes sont liées et que notre liberté est intimement liée.

Nous sommes un peuple qui aime la vie et nous avons sur cette terre ce qui rend la vie digne d’être vécue. Notre objectif n’est pas seulement la survie. Notre objectif est la vie.

La libération est inévitable. Nous serons libres. La vraie question est : serez-vous du bon côté de l’Histoire ?