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Conclusions de la 79e session ordinaire de la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples

La 79e session ordinaire de la Commission africaine s’est tenue dans un format hybride du 14 mai au 3 juin 2024 et s’est penchée sur la situation des droits humains en Afrique, examinant huit communications et un rapport périodique d’État, octroyant le statut d’observateur à dix ONG et organisant neuf tables rondes.

Les participant·e·x·s ont assisté à la session en ligne tandis que les membres de la Commission et du Secrétariat étaient physiquement présent·e·x·s à Banjul. 805 délégué·e·x·s ont participé à cette session, dont 118 représentant·e·x·s d’État, 8 représentant·e·x·s d’organes de l’Union africaine (UA), 3 représentant·e·x·s de communautés économiques régionales, 3 représentant·e·x·s d’organismes des Nations Unies, 39 représentant·e·x·s d’organisations internationales et intergouvernementales et 66 représentant·e·x·s d’institutions nationales des droits de l’Homme.

Le nombre de délégué·e·x·s a diminué de moitié par rapport à la 77e session ordinaire qui avait eu lieu en présentiel à Arusha, en  Tanzanie. Fait inquiétant, le nombre de participant·e·x·s issu·e·x·s d’organisations non gouvernementales a diminué de 96,5 % par rapport à la session organisée à Arusha. Le format hybride limite la capacité des organisations de la société civile à échanger entre elles et avec la Commission sur les questions essentielles liées aux droits humains. Il entrave en outre les activités de plaidoyer.

Cérémonie d’ouverture

S’exprimant au nom du Forum des organisations non gouvernementales, Hannah Forster s’est réjouie du transfert de pouvoirs pacifique au Sénégal, mais s’est inquiétée de la situation des droits humains au Soudan, en République démocratique du Congo (RDC) et au Tchad, qui demeure « préoccupante ».

Mme Forster a déclaré : « Nous ne devons pas oublier les sacrifices consentis par celles et ceux qui luttent en première ligne pour défendre la justice et les droits humains. Leurs efforts doivent nous inciter à nous battre encore plus fort pour une Afrique plus pacifique et plus équitable. 

S’exprimant au nom des institutions nationales africaines des droits de l’Homme, Joseph Withal a réitéré son engagement à promouvoir et à protéger les droits des personnes et des peuples sur le continent malgré les obstacles qui se dressent sur leur chemin. Concernant l’éducation, thème choisi par l’Union africaine pour l’année 2024, il a déclaré : « Investir dans l’éducation est à la fois une nécessité et un impératif stratégique pour libérer tout le potentiel du continent et de nos populations, afin que celles-ci puissent participer pleinement au développement durable. » 

Djidda Mahamat, quatrième vice-président du Parlement panafricain, a fait écho à cette déclaration, expliquant qu’on ne peut aspirer au développement, que ce soit dans le domaine économique ou dans d’autres domaines, sans veiller à ce que les droits inhérents à la personne humaine soient respectés.

La coopération entre la Commission et la Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples a été le thème central de la déclaration du juge Modibo Sacko. Il a indiqué que plusieurs parties attendaient le transfert de leur dossier de la Commission à la Cour, soulignant la nécessité d’assurer la complémentarité entre les deux organes de défense des droits humains de l’Union africaine.

Le président de la Commission, Rémy N. Lumbu, a rappelé que les armes continuaient de faire des ravages dans la majeure partie de l’Afrique. « Des problèmes de sécurité se posent en Éthiopie, au Sahel, dans l’est du Soudan, en Somalie, dans l’est de la RDC, où opère le groupe rebelle M23 soutenu par des gouvernements étrangers, ainsi que dans l’extrême nord du Cameroun », a-t-il déclaré. Il a fait part de son inquiétude quant à la levée du moratoire sur la peine de mort en RDC qui constitue un manquement à l’article 4 de la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples. Il s’est également dit préoccupé par les restrictions de la liberté d’association et de réunion, les représailles contre les défenseur·e·x·s des droits humains et la surpopulation carcérale, entre autres problèmes observés sur le continent. 

Tables rondes

La Commission a organisé neuf tables rondes sur différents thèmes. La table ronde sur la Déclaration sur la promotion du rôle des défenseur·e·x·s des droits humains et leur protection en Afrique avait pour objectif de donner aux parties prenantes – États, organisations de la société civile et institutions nationales des droits de l’Homme – une nouvelle occasion de donner leur avis sur le projet de déclaration.

Les participant·e·x·s ont fait différentes suggestions à la Commission africaine pour compléter ou clarifier le projet de déclaration afin de répondre aux menaces émergentes qui pèsent sur le travail des activistes. Parmi ces suggestions figuraient la nécessité d’adopter une perspective intersectionnelle et de remédier aux difficultés que rencontrent les défenseur·e·x·s les plus vulnérables comme les femmes défenseures des droits humains, les activistes qui vivent avec un handicap, les personnes qui luttent pour les droits des minorités sexuelles, contre la corruption ou contre le changement climatique, celles qui défendent l’environnement et les ressources naturelles, celles qui se battent pour obtenir justice et celles qui demandent des comptes aux entreprises.

La table ronde sur la commémoration du 30e anniversaire du génocide rwandais a permis de passer en revue les progrès accomplis sur le continent pour empêcher qu’un tel drame se reproduise et d’examiner les mesures qui permettraient au système africain des droits humains de mieux gérer ce type de crise à l’avenir.

Les participant·e·x·s à la table ronde sur la soumission des rapports des États ont noté que le nombre de rapports présentés était faible, relevant que certains États avaient pris du retard dans la soumission de leurs rapports initiaux et périodiques à la Commission africaine. Par exemple, sur les 33 États parties, seul le Cameroun a présenté un rapport sur les mesures qu’il a prises pour réaliser les droits garantis par la Convention de Kampala. Par ailleurs, seuls 21 États sur 45 ont rempli leurs obligations de rapport sur la mise en œuvre du Protocole de Maputo. Dans ses observations préliminaires, le Commissaire Hatem Essaiem a déploré le peu d’efforts consentis par les États pour respecter leurs obligations, relevant que 50 % des États parties à la Charte avaient au moins trois rapports en retard et que six États n’avaient jamais rendu compte des mesures adoptées au titre de l’article 62 de la Charte.

Rapports d’activité des membres de la Commission

Les membres de la Commission ont présenté leurs rapports d’intersession, détaillant les activités menées dans le cadre de leurs fonctions de commissaires, de rapporteur·e·x·s de pays et de titulaires de mandats au titre de mécanismes spéciaux.

ISHR a fait trois déclarations (voir iciici et ici) à la suite de la présentation des rapports du Rapporteur spécial sur les défenseurs des droits de l’Homme et point focal sur les représailles, de la Rapporteure spéciale sur les droits des femmes et du président du Groupe de travail sur les industries extractives, l’environnement et les violations des droits de l’Homme en Afrique.

Dans son rapport, Rémy N. Lumbu a expliqué avoir effectué, en novembre 2023, avec le soutien d’ISHR, une visite au Sénégal pour plaider en faveur de l’adoption d’une loi pour les défenseur·e·x·s des droits humains au sein du pays et a appelé à ce que ce type d’initiative soit renouvelé dans d’autres pays n’ayant pas encore promulgué de loi sur la question. En réponse au rapport du Rapporteur spécial sur les défenseur·e·x·s, ISHR a exhorté le point focal à publier son rapport sur les représailles, trop longtemps différé, et de s’attaquer aux lois qui restreignent l’espace civique à travers le continent.

Dans son rapport, la Rapporteure spéciale sur les droits des femmes a recensé les problèmes auxquels sont confrontées les femmes sur le continent. Elle a relevé une augmentation des cas de féminicides ainsi qu’une tendance à la régression démocratique, caractérisée notamment par une diminution des fonctions électives exercées par les femmes au Zimbabwe et une tentative d’abrogation de la loi sur les mutilations génitales féminines en Gambie. Le rapport fait également état d’une inquiétante augmentation des actes de violence sexuelle, en particulier dans les zones de conflit.

Dans une déclaration commune, ISHR et ses partenaires ont souligné la nécessité d’un cessez-le-feu immédiat au Soudan, expliquant que ce conflit a entraîné la plus grande crise de déplacement au monde, ainsi qu’une crise humanitaire et des atteintes aux droits humains qui affectent particulièrement les femmes défenseures.

Après que le Groupe de travail sur les industries extractives, l’environnement et les violations des droits de l’Homme a présenté son rapport, ISHR a fait une déclaration mettant en avant les effets des activités des industries extractives sur l’environnement et les populations environnantes, en particulier les autochtones et les femmes. Le rapport du groupe de travail mettait en lumière le rôle joué par les mouvements sociaux et les activistes, qui sont souvent en première ligne dans la lutte pour l’environnement et les droits humains face aux industries extractives.

Examen des rapports d’État

La délégation du Mozambique a présenté son rapport pour la période 2015-2021 au titre de l’article 62 de la Charte africaine. Les membres de la Commission ont commenté ce rapport et interrogé la délégation sur la réalisation des principaux droits liés aux mécanismes spéciaux auxquels iels contribuent.

La Commission a ensuite invité le Mozambique à soumettre un rapport sur la mise en œuvre du protocole de Maputo et de la Convention de Kampala et à faire une déclaration au titre de l’article 34(6) du Protocole portant création de la Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples afin que les personnes et les ONG disposant du statut d’observateur auprès de la Commission puissent introduire des requêtes directement devant la Cour. Enfin, la Commission a sollicité une autorisation de visite officielle dans le pays. 

Statuts d’observateur et d’affilié

Au cours de la session, la Commission africaine a octroyé le statut d’observateur à dix ONG et le statut d’affilié à deux institutions nationales des droits de l’Homme (INDH) : le Mécanisme de prévention de la torture de Mauritanie et la Commission nationale pour l’égalité des sexes du Kenya.

Actuellement, 571 ONG bénéficient du statut d’observateur auprès de la Commission et 38 INDH du statut d’affilié.

Le statut d’affilié permet aux INDH d’assister aux sessions et d’intervenir dans les affaires examinées. En contrepartie, les institutions sont tenues de présenter des rapports tous les deux ans. Mudford Mwandenga, membre de la Commission, a encouragé les ONG et les INDH à envoyer leurs rapports dans les meilleurs délais.

Résolutions relatives à des pays particuliers et résolutions thématiques

La Commission a adopté une résolution propre à un pays, à savoir la Résolution sur la situation des droits de l’Homme dans la République du Soudan. Elle a par ailleurs adopté trois résolutions thématiques :

Résolution sur l’élaboration d’un addendum sur les données aux lignes directrices pour l’établissement des rapports des États parties sur les droits économiques, sociaux et culturels dans la Charte africaine ;
Résolution sur l’élaboration d’une observation générale sur le droit au développement en Afrique ;
Résolution sur le remplacement du Vice-président du Groupe de travail sur les droits économiques, sociaux et culturels en Afrique.

Prochaine session

Dans son communiqué final, la Commission a indiqué que sa 80e session ordinaire se tiendrait du 24 juillet au 2 août 2024, et s’est engagée à publier de plus amples informations à ce sujet sur son site Web.

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