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Défenseur·e·x·s des droits humains et technologies émergentes : un bien ou un mal ?

ISHR a co-organisé un événement sur la protection des défenseur·e·x·s contre les violations des droits facilitées par les technologies émergentes, en marge de la 58e session du Conseil des droits de l’Homme.

Le 7 mars, en marge de la 58e session du Conseil des droits de l’Homme, ISHR a co-organisé un événement sur la protection des défenseur·e·x·s contre les nouvelles formes de violations des droits facilitées par les technologies, en présence de défenseur·e·x·s, de représentant·e·x·s d’États et d’ONG.

Les technologies émergentes sont devenues un outil fondamental pour les défenseur·e·x·s des droits humains, leur permettant de mener leurs activités et de faire entendre leur voix au-delà des frontières, souvent au péril de leur sécurité. Cependant, ces nouveaux outils peuvent également avoir un impact négatif sur la jouissance des droits humains et représenter de graves menaces et défis pour les défenseur·e·x·s.

L’événement a accueilli une table ronde sur la réalité et les défis auxquels les défenseur·e·x·s sont confronté·e·x·s dans le contexte des technologies émergentes. Cela a permis aux défenseur·e·x·s travaillant dans le domaine des droits numériques de mettre en avant leurs besoins spécifiques en matière de protection.

Modérée par Ulises Quero d’ISHR, la table ronde était composée de Carla Vitoria de l’Association pour la Communication Progressive, Lucía Gómez Vicente des Systèmes d’information et de documentation sur les droits humains et Nancy Awad de Front Line Defenders. Le discours d’ouverture a été prononcé par l’ambassadeur Tormod C. Endresen, représentant permanent de la Norvège. La table ronde comprenait également un message vidéo de Gerald Kankya du Centre de ressources sur les entreprises et les droits humains.

Malheureusement, en raison des visas et des récentes coupes budgétaires gouvernementales, plusieurs défenseur·e·x·s d’organisations locales n’ont pas pu se joindre à la table ronde. À cela s’ajoutent les obstacles financiers imposés par l’ONU, qui ont rendu impossible la participation à distance.

Carla Vitoria a partagé son point de vue sur les liens entre autoritarisme numérique et violence hors ligne. Non seulement les technologies de surveillance et les coupures d’Internet sont utilisées pour porter atteinte aux droits humains, mais elles propagent également de fausses informations conduisant à des menaces de viol, à la stigmatisation corporelle et à la désinformation sexualisée, a-t-elle souligné. En effet, les communautés et défenseur·e·x·s LGBTQIA+ sont confronté·e·x·s à des menaces de viol correctif en tant que forme courante de représailles utilisée pour réduire au silence les défenseur·e·x·s, tout comme les défenseur·e·x·s des droits reproductifs, qui sont également confronté·e·x·s à des campagnes de stigmatisation, a-t-elle ajouté.

La violence facilitée par les technologies ne se limite pas à l'espace numérique. Il existe un continuum entre la violence en ligne et la violence hors ligne. Comme toutes les violences sexistes et raciales, elle dégénère souvent en menaces, harcèlement et violences physiques hors ligne.
Carla Vitoria, Association for Progressive Communication

Les crimes haineux et la violence en ligne engendrent des attaques hors ligne. Les entreprises et les sociétés n’ont pas su gérer ces menaces. Pire encore, leurs politiques sont généralement peu réglementées, ce qui rend les mécanismes de modération des menaces haineuses moins efficaces. Selon l’Association pour la communication progressive, les communautés autochtones qui luttent pour leurs droits et leurs terres sont directement attaquées sur leur identité en ligne. En réalité, l’autoritarisme numérique est également lié à l’extractivisme, à l’utilisation des données personnelles, à l’accumulation d’informations et à la surveillance.

Nancy Awad a souligné que même si les espaces numériques présentent des aspects positifs, tels que l’amélioration de la capacité des défenseur·e·x·s à atteindre un public mondial, la documentation des violations des droits humains pour sensibiliser et tenir les gouvernements et les entreprises responsables, ces aspects sont éclipsés par la montée de l’autoritarisme et la répression étatique qui se manifeste par la criminalisation, la surveillance, les coupures d’Internet, la censure numérique, la désinformation et la manipulation de l’information.

Les politiques de modération du contenu des plateformes de médias sociaux sont de plus en plus des outils de répression numérique.
Nancy Awad, Front Line Defenders

Nancy Awad a également souligné le cas de militant·e·x·s palestinien·ne·x·s attaqué·e·x·s, calomnié·e·x·s par de fausses informations, qualifié·e·x·s de terroristes et dont les contenus ont été effacés à plusieurs reprises.

Dans un message vidéo, Gerald Kankya a évoqué les nombreuses formes d’attaques contre les défenseur·e·x·s des droits humains par le biais des outils numériques, et la réponse souvent médiocre, voire inexistante, des États face à ces actions, notamment l’implication des entreprises technologiques dans ces méfaits. Kankya a cité l’exemple de Safaricom, le plus grand opérateur de télécommunications kenyan, impliqué dans la répression des manifestations de jeunes en 2024 au Kenya. Safaricom a transféré à l’État des informations sur les militant·e·x·s extraites de leurs cartes SIM, ce qui a conduit à la repression.

Kankya a expliqué comment les gouvernements du monde entier ont utilisé le logiciel espion Pegasus du groupe NSO pour faciliter les violations des droits humains, et comment les enquêtes des médias et de la société civile ont documenté son utilisation dans plusieurs pays africains. Il a également souligné un rapport de 2023 de l’Institut d’études du développement, qui révèle que les gouvernements africains dépensent collectivement plus d’un milliard de dollars américains par an en technologies de surveillance numérique pour surveiller leurs propres citoyen·ne·x·s, souvent en violation des lois constitutionnelles, internationales et nationales.

Lucía Gómez a souligné la persistance historique des attaques contre les personnes qui luttent pour la justice. Elle a abordé la dichotomie selon laquelle, même si nous considérons les technologies comme dangereuses, elles recèlent un potentiel considérable pour le travail en faveur des droits humains. En réalité, une approche « tech for good » doit être mise en œuvre. Les politiques doivent être centrées sur l’humain et les victimes, permettant des mécanismes de réponse durables, a soutenu Gómez.

Cet événement parallèle s’est déroulé à un moment crucial : 197 organisations ont publié une lettre ouverte aux États, les exhortant à proposer une résolution forte sur les défenseur·e·x·s des droits humains et les outils numériques, qui serait adoptée lors de cette session.

Dans la lettre, la société civile exhorte les États à garantir la résolution qui traite de la protection des défenseur·e·x·s des droits humains contre les risques émergents résultant des tendances technologiques et de l’évolution des espaces en ligne, tels qu’identifiés dans la Déclaration +25.

Dans le même ordre d’idées, les panélistes ont partagé leurs réflexions sur ce que les résolutions devraient inclure : le facteur humain dans l’utilisation de la technologie, l’évaluation et la compréhension adéquates des lacunes pour choisir une technologie adaptée, l’obligation pour les États de fournir une analyse des risques, les programmes de renforcement des capacités technologiques localisées et d’autres pratiques pour accroître la prise de décision éclairée.

La résolution doit également aborder les besoins des défenseur·e·x·s des droits humains en situation de conflit, l’utilisation de l’intelligence artificielle dans les contextes fragiles et la nécessité pour les entreprises d’assumer leurs responsabilités en vertu du droit international envers les défenseur·e·x·s des droits humains.

ISHR a partagé une vidéo (en anglais) de témoignages de défenseur·e·x·s des droits humains recueillis lors de la conférence RightsCon 2025 à Taïwan. Ces défenseur·e·x·s ont souligné la nécessité pour la résolution d’aborder les discours de haine et la désinformation, les deep fakes à caractère sexuel, l’accès à l’information et à la vie privée en contexte de conflit et de guerre, les principes des droits humains et les normes du droit international, l’exercice d’un contrôle judiciaire, la lutte contre la cybercriminalité et l’intégration d’une perspective de genre et queer.

Cet évènement a été sponsorisé par Access Now, Amnesty International, Asian Forum for Human Rights & Development (FORUM-ASIA), Association for Progressive Communications (APC), Business and Human Rights Resource Centre (BHRRC), DefendDefenders (East and Horn of Africa HRD Project), Front Line Defenders, Gulf Centre for Human Rights (GCHR), Huridocs, International Center for Not-for-Profit Law (ICNL), International Lesbian, Gay, Bisexual, Trans and Intersex Association (ILGA World), International Service for Human Rights (ISHR), Peace Brigades International, Privacy International, Protection International,  Regional Coalition of WHRDs in Southwest Asia and North Africa (WHRD MENA Coalition).

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