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France | Violences policières et droits humains : de quoi la vidéo est-elle le nom ?

Porter secours à un.e semblable en détresse, témoigner sa solidarité face à l’injustice, sont des élans quasi naturels pour nombre d’entre nous. Les conséquences juridiques de tels actes importent souvent peu à leurs auteur.es. Depuis des années, filmer et rendre publiques les violences policières dont on est témoin est devenu l’un des moyens privilégiés de manifester ces élans, et de prouver l’existence desdites violences. Tenter de restreindre de telles démarches s’avèrerait donc non seulement inefficace, mais pourrait également constituer une violation des droits humains.

Article d’opinion par Fanny Toutou-Mpondo et Salma El Hosseiny, respectivement chargée de communication et responsable du plaidoyer auprès du Conseil des droits de l’Homme, au Service International pour les droits de l’Homme (ISHR)

Derrière l’expression « droits humains » se cache une palette de droits, consacrés dans un jargon parfois jugé imperméable au public, mais qui englobent des réalités aussi simples et fondamentales que : le droit d’être en vie, le droit d’être en sécurité dans l’espace public, le droit de ne pas être discriminé.e, le droit de réclamer justice, etc. Pour ne pas rester lettre morte, ces droits ont besoin de personnes pour les mettre en œuvre, les protéger, les promouvoir. Bien que cette responsabilité incombe premièrement à l’Etat, le rôle des défenseur.es des droits humains s’est de plus en plus avéré crucial en la matière. Ceci est notamment dû aux manquements des Etats dans plusieurs domaines, mais aussi aux différentes perspectives que les défenseur.es apportent sur ces questions. La lutte contre les violences policières n’échappe pas à la règle.

Car, faut-il le rappeler ? La lutte contre les violences policières est, avant tout, une affaire de droits humains. Et les personnes qui se chargent de cette lutte sont des défenseur.es des droits humains, qu’ils/elles en soient conscient.es ou non. Rappelons également que la France a des engagements internationaux en matière de droits humains et de protection et soutien aux défenseur.es des droits humains. A nouveau, ces engagements ne s’arrêtent pas à la frontière des violences policières, ni aux portes des commissariats.

Dresser la liste des textes internationaux dont la France est partie ou signataire et qui l’engagent à protéger le droit à la vie et à l’égalité de toutes les personnes sur son territoire, garantir des procès impartiaux, etc., serait superflu. La « Patrie des droits de l’Homme » affectionne les déclarations de principes sur la scène internationale, se déclarant à l’envi intraitable face au racisme, tout en rechignant à laisser la Rapporteure spéciale de l’ONU sur le racisme visiter le pays ; ou en freinant des quatre fers lorsqu’il est question de demander une enquête internationale sur les violences policières racistes aux USA. Lors du débat urgent au Conseil des droits de l’Homme de juin dernier visant à établir une telle enquête, la France, alors elle-même candidate au Conseil, a en effet préféré s’en tenir à de vagues vœux pieux[1], plutôt que de répondre à l’appel des familles de victimes afro-américaines qui s’étaient tournées vers la communauté internationale pour réclamer justice. La France, désormais membre du Conseil, doit se rappeler qu’un tel mandat implique une responsabilité d’autant plus accrue en matière de respect des droits humains. Au nombre de ces responsabilités, celle de ne pas entraver le travail des défenseur.es, mais au contraire de les soutenir.

Or, en matière de lutte contre les violences policières, la gamme d’outils à la disposition des activistes fait pâle figure face à l’arsenal juridique, logistique, politique dont dispose la police. Dire que la vidéo constitue un des outils majeurs du travail des activistes en matière de violences policières, est une lapalissade. Le nombre d’affaires n’ayant suscité l’attention de la justice qu’après la diffusion de vidéos parle de lui-même, en France, comme ailleurs. L’insoutenable tabassage de Michel Zecler en est le dernier exemple en date. De même, le nombre ahurissant de condamnations de la France par la Cour européenne des droits de l’Homme pour des affaires de violences policières[2] démontre la difficulté pour les victimes et leurs familles d’obtenir justice sur ces questions au niveau national. Dans ce rapport de force inégal, la vidéo fait donc office de contrepoids pour les victimes et leurs défenseur.es, en ce qu’elle permet au moins de ne plus mettre en doute leur parole sur ne serait-ce que l’existence de telles violences. Or, même une fois ces violences établies, obtenir que leurs auteur.es rendent des comptes s’avère une autre paire de manches, nombre d’arguments étant souvent opposés aux victimes et leurs défenseur.es pour justifier le recours à ces violences ou en minimiser l’impact.

Pouvoir filmer librement les violences policières est ainsi le minimum vital de la lutte contre ces violences. L’empêcher ou le rendre excessivement ardu revient à s’en prendre au cœur du travail des défenseur.es des droits humains œuvrant sur la question. Une telle atteinte serait incompatible avec les engagements internationaux de la France et sa place au Conseil des droits de l’Homme. Même son de cloche chez le Groupe de travail de l’ONU sur les personnes d’ascendance africaine qui, dans son rapport d’août dernier, invitait les Etats à « lever les obstacles juridiques à l’enregistrement vidéo des comportements des forces de l’ordre et à la diffusion publique de tels enregistrements ». En allant dans la direction inverse, la France ferait ainsi fi des voix de sa propre société civile et de la communauté internationale. Un tir qu’il serait opportun de rectifier pour se mettre en conformité avec ses propres engagements.

Photo: Flick/Hossam el-Hamalawy


[1] Cf. Intervention de S.E.M François Rivasseau (02 :20 :12), 18/06/20

[2] Cf. notamment, affaires Castellani ; Darraj; Rivas; Selmouni

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