Photo: ACDHRS

Afrique
Nouvelles

Conclusions du Forum des ONG

Pour la première fois depuis 2019, le Forum des ONG s’est tenu en présentiel, à Banjul, les 17 et 18 octobre, en amont de la session ordinaire de la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (la Commission Africaine). Cette année, le Forum était organisé autour du thème « Droits humains et gouvernance en Afrique : une approche multidimensionnelle pour traiter les conflits, les crises et les inégalités ».

Pendant ces deux journées, le Forum des ONG a accueilli plus de 260 participant·es de 40 pays africains, ainsi que des participant·es d’Europe et d’Amérique du Nord.   

Célébration des 35 ans de la Charte Africaine et situation des droits humains en Afrique

Tout au long de la session, le Forum des ONG s’est penché sur les progrès en matière de droits humains réalisés en Afrique depuis l’adoption de la Charte Africaine il y a 35 ans. En effet, au cours des six derniers mois, des restrictions abusives de l’espace civique ont été observées dans différents pays, notamment en Afrique de l’Est, les conflits et les dérives autoritaires demeurant les principaux facteurs de ces restrictions.

Par exemple, en Éthiopie, le cessez-le-feu conclu en novembre n’a pas tenu, mettant davantage en péril la stabilité du pays. En Tanzanie et en Ouganda, des défenseur·es travaillant sur les questions d’orientation sexuelle et d’identité de genre ont été victimes d’attaques. En Afrique du Nord, dans des pays tels que l’Algérie, où la liberté de réunion et d’association est garantie par la constitution et où les manifestations doivent en principe faire l’objet d’un simple préavis, les autorités continuent d’interdire des rassemblements pacifiques au nom de la sécurité. En Afrique de l’Ouest, de nouvelles réglementations imposent désormais aux organisations de la société civile enregistrées au Bénin de renouveler leur accréditation contre une somme importante d’argent, ce qui risque de porter préjudice aux petites ONG dont les ressources financières sont limitées et de permettre à l’État de retirer arbitrairement l’accréditation des organisations critiques à son égard. Au Ghana, l’adoption d’une loi anti-LGBTI limite non seulement les droits des personnes LGBTI, mais restreint également l’espace civique dont elles disposent pour défendre leurs droits. En Afrique australe, deux balles ont été déposées dans le jardin d’Adriano Nuvunga, à Maputo, au Mozambique. Ces menaces voilées surviennent après que l’activiste a ouvertement critiqué la réponse du gouvernement aux tensions sociales provoquées par la détérioration de la situation économique du pays. En Afrique centrale, les problèmes liés aux élections présidentielles et la dégradation des conditions de sécurité ont grandement affecté la situation des droits humains. Le Tchad, par exemple, fait toujours face aux conséquences du coup d’État et au Cameroun, la situation dans les régions de l’Extrême-Nord, du Nord et du Sud-Ouest demeure préoccupante.

Droits fonciers et lutte contre les changements climatiques en Afrique

Au cours de cette session du Forum des ONG et à l’approche de la COP27, plusieurs tables rondes ont été organisées sur les thèmes des droits fonciers et de la lutte contre les changements climatiques afin d’étudier l’impact de ces changements et des crises énergétiques sur la sécurité alimentaire et les droits humains en Afrique.

Edward Porokwa, directeur général du Pastoralist Indigenous NGO’s Forum en Tanzanie, a souligné que les terres constituaient l’un des principaux points de controverse en matière de droits humains en Afrique, certaines lois en la matière datant de l’époque coloniale. À titre d’exemple, vingt-quatre Massaïs, dont plusieurs responsables communautaires, ont été emprisonné·es à la suite d’accusations de meurtre douteuses et attendent encore d’être libéré·es du fait d’intérêts commerciaux dans la région. Les populations sont dépossédées de leurs terres au motif de la conservation des ressources naturelles. « Nous plaidons tous pour la conservation, mais elle est utilisée comme prétexte pour violer les droits des communautés locales, avec l’appui d’organismes prochasse. Il est temps de faire pression sur les gouvernements qui confisquent des terres sous couvert de projets de conservation », a déclaré M. Porokwa.

L’Accord de libre-échange continental africain a été conçu pour stimuler le commerce intra-africain et développer l’économie du continent. Sa mise en œuvre a démarré en janvier 2021 et il a pour l’instant été signé par 52 pays. Pour Meskerem Geset Techane, membre du Groupe de travail sur la discrimination à l’égard des femmes et des filles, les États devraient prendre en compte la question de l’égalité entre les sexes et l’intégrer dans les négociations menées dans le cadre des accords commerciaux internationaux et régionaux. Elle a noté avec satisfaction que certains États avaient intégré la parité dans leurs politiques commerciales, étape importante dans cette direction. 

« Il est important de reconnaître explicitement le rôle spécifique des femmes dans le commerce et l’impact que chaque accord touchant le commerce peut avoir sur les femmes, particulièrement s’agissant de la sécurité alimentaire ou des processus climatiques au sens large », a ajouté Mme Geset Techane.

Violences sexistes, espace civique, liberté d’expression et bonne gouvernance dans les États fragiles

En Afrique, l’espace civique continue d’être menacé par les coupures d’Internet et les lois restrictives qui entravent volontairement le travail de la société civile. 

« Dans un pays comme le Togo, la liberté d’expression est aujourd’hui en péril. On assiste à une recrudescence des délits de presse et d’opinion en vertu du Code de la presse du Togo, autrefois envié dans la région. Le Code de la presse interdit l’usage des médias sociaux aux journalistes. Toute infraction est passible d’emprisonnement. Fovi Katakou, un activiste gravement handicapé, en a fait l’expérience après avoir partagé un message sur WhatsApp : il a été arrêté et emprisonné sans son fauteuil roulant, puis relâché du fait de la forte pression publique », a relaté Rodrigue Ahégo, un journaliste togolais. Les titulaires de mandat au titre des procédures spéciales de l’ONU ont fait part de leur préoccupation concernant la situation au Togo, notamment s’agissant de la loi sur les manifestations publiques pacifiques, mais leurs appels n’ont pour l’instant pas été entendus par le gouvernement.

« Lorsque les libertés et les droits fondamentaux sont affaiblis par des lois qui restreignent l’espace civique, comme c’est le cas au Niger, la stabilité du pays et l’état de droit sont également mis à mal », a ajouté Flora Stevens, responsable du pôle Protection de l’organisation Agir Ensemble Pour Les Droits Humains.

Au Soudan du Sud, quiconque exprime son opinion risque de se heurter à une violente répression, au mépris flagrant de ses libertés et droits fondamentaux, comme en témoignent les arrestations récentes de manifestant·es dans différentes villes, dont la capitale, Juba. La fréquence des cas de violence sexiste montre que les femmes et les défenseures des droits humains sont particulièrement ciblées. Il est avéré que les forces de sécurité ciblent délibérément les membres de la société civile, en particulier les défenseur·es des droits humains et les journalistes, par le biais d’intimidations, de harcèlement et de menaces.

Résolutions et recommandations

Le Forum des ONG a adopté 9 résolutions relatives à des pays particuliers :

  • Résolution sur la situation des droits humains en République centrafricaine
  • Résolution sur la situation des droits humains en République démocratique du Congo
  • Résolution sur la situation des droits humains en Égypte
  • Résolution sur la situation des droits humains en Érythrée
  • Résolution sur la situation des droits humains en Eswatini
  • Résolution sur la situation des droits humains au Mali
  • Résolution sur la situation des droits humains au Soudan du Sud
  • Résolution sur la situation des droits humains en Tanzanie
  • Résolution sur la situation des droits humains en Ouganda

4 résolutions thématiques :

  • Résolution sur l’engagement de la société civile africaine et la promotion de la sécurité et des droits numériques
  • Résolution sur la peine de mort et l’interdiction de la torture et des peines ou traitements cruels inhumains ou dégradants
  • Résolution sur la lutte contre l’impunité en Afrique
  • Résolution concernant les transitions militaires en Afrique

Recommandations :

  • Recommandation relative à la feuille de route d’Addis-Abeba
  • Recommandation relative à la mise en œuvre de l’Accord de libre-échange continental africain
  • Recommandation relative à l’engagement des personnes d’ascendance africaine et issues de la diaspora
  • Recommandation relative aux coupures d’Internet en Afrique : étude de l’incidence des coupures d’Internet en Afrique

Recommandation relative à l’établissement d’un mécanisme visant à définir l’agenda de l’Afrique pour la réparation des préjudices liés au commerce et à la traite des Africain·es réduit·es en esclavage, au colonialisme et aux crimes coloniaux et à la ségrégation raciale.

Download as PDF

Related articles

Conclusions de la 77e session ordinaire de la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples

La 77e session ordinaire de la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples qui s’est tenue à Arusha, en République-Unie de Tanzanie, du 20 octobre au 9 novembre 2023, est désormais achevée. Au cours de cette session, la Commission africaine a renouvelé son bureau. Elle a accueilli les déclarations solennelles des membres nouvellement élu·e·x·s et des membres réélu·e·x·s, et a présenté différents documents et bulletins.

CADHP 75 : Les États doivent fournir des données significatives concernant les droits économiques, sociaux et culturels

Le 10 mai 2023, la Commission Africaine a organisé une table ronde afin de discuter des différents moyens dont disposaient les États afin de s’acquitter de leurs obligations en matière de présentation de données sur les droits économiques, sociaux et culturels, de l’utilisation de celles-ci dans l’élaboration des politiques, ainsi que des possibilités de collaboration entre la Commission et les États pour faciliter ce processus.

CADHP 73: La Côte d'Ivoire devrait renforcer le mécanisme de protection des défenseur·es des droits humains

La Commission Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples (la Commission africaine) a examiné le rapport périodique de la République de Côte d'Ivoire couvrant la période 2016-2019, lors de sa session publique tenue du 20 au 30 Octobre 2022 à Banjul en Gambie. Le rapport présente les progrès réalisés par la Côte d'Ivoire en matière des droits humains depuis son dernier examen.